La seule raison pour laquelle je me sens inférieure aux autres, c’est ma situation économique difficile qui est le résultat de mes périodes de maladie. Mes amis ont leur propre appartement, un bon emploi et un revenu
normal. Moi, je n’ai rien de tout cela. Je rêve d’avoir un chez moi et accès à Internet à la maison. Cela me permettrait en effet de travailler à domicile, de gagner de l’argent et d’être
plus comme les autres.
J’étais étudiante en français et en anglais à l’Université pédagogique de Vilnius, en Lituanie, et j’avais de très bons résultats quand j’ai
connu mes premiers troubles mentaux. Je travaillais également comme interprète, traductrice et professeur de langues, et l’année avant mes examens finals, j’ai commencé à avoir des problèmes d’insomnie.
Je ne sais pas pourquoi, mais je n’ai pas consulté de médecin et je n’ai pas pris de somnifères. Finalement, je suis devenue psychotique. L’université m’avait proposé de préparer mon
doctorat, mais j’ai été hospitalisée et cela n’a plus été possible par après.
Je ne savais rien sur ma maladie ou les médicaments que l’on me donnait lorsque j’ai
été hospitalisée pour la première fois en 1996, et les médecins n’étaient d’aucune aide. Le psychiatre m’a déclaré, ainsi qu’à ma mère : « Elle doit
travailler ; le travail et la discipline la guériront. » J’ai donc travaillé pendant trois ans, et quand les symptômes sont réapparus et que j’ai fait une rechute, je ne savais absolument pas ce qu’il
m’arrivait.
Depuis lors, je suis allée à l’hôpital à plusieurs reprises, mais chaque fois le psychiatre m’a tout expliqué sur ma maladie, le diagnostic et le traitement médicamenteux.
En 1999, j’ai été diagnostiquée avec une psychose dysthymique. On m’a traitée dans un service de consultation externe, mais je n’étais pas satisfaite des soins prodigués. Mon psychiatre
me parlait à peine, et ne m’a jamais posé de questions sur ma vie de tous les jours. Cependant, je me dis que j’ai de la chance d’être tombée malade durant une période de réformes cruciales
de la santé mentale, et d’avoir eu l’occasion de rejoindre une organisation de patients.
Avant mon deuxième épisode psychotique, quand je travaillais et pouvais donc me le permettre, j’ai suivi une
psychothérapie. J’ai participé à une thérapie de groupe lorsque j’étais à l’hôpital, et j’ai eu deux ou trois consultations personnelles avec un psychologue. La dernière
fois que j’ai été hospitalisée, en 2005, j’ai été soignée par le département universitaire. J’ai été placée sous la responsabilité d’un étudiant
qui m’a pratiqué une thérapie par la parole. Je pense que ce genre de thérapie est utile, mais elle n’aurait pas dû être interrompue quand j’ai quitté l’hôpital et que je ne pouvais
plus me la permettre.
En Lituanie, les problèmes de santé mentale font l’objet d’une très forte stigmatisation. Ma famille a été choquée quand elle a été mise au courant
de ma maladie, et ma mère essaie encore de dissimuler mes problèmes et évite d’en parler à nos proches. Cela m’est pénible, mais je ne pense pas que nous puissions faire autrement.
Je n’ai
jamais parlé de ma situation à mes anciens camarades de classe. C’est honteux d’avoir une maladie aussi désespérée, et j’ai coupé tous les ponts avec eux. J’ai également rompu
tout contact avec les gens avec qui je travaillais avant de tomber malade. Je savais qu’ils propageaient des propos malveillants à mon sujet.
En revanche, mes amis de l’université m’ont apporté leur
soutien et leur aide. Ils sont venus me voir à l’hôpital, et je pouvais leur téléphoner quand j’en avais besoin. Je choisis toujours avec soin les personnes à qui je parle ouvertement de mes problèmes,
mais c’est toujours dans le cercle de mes amis les plus proches.
La perte de mon emploi a été, pour moi, la plus grande privation due à ma maladie. Je travaillais comme traductrice, interprète et opératrice
radio pour les forces armées lituaniennes. Or, après mon second épisode psychotique, j’ai été licenciée. Mon employeur aurait pu me donner une pension d’invalidité ou me proposer un emploi
civil, mais il m’a remerciée. Ce licenciement m’a anéantie et désorientée.
À un moment, j’ai décidé de travailler comme bénévole dans un centre de soins de
jour pour enfants défavorisés. Ne sachant pas, à l’époque, ce que je sais aujourd’hui sur la stigmatisation et les préjugés, j’ai dit à mon employeur que je touchais une pension d’invalidité
(environ 200 euros par mois) et j’en ai expliqué les raisons. Elle m’a demandé de lui fournir une lettre de recommandation et le numéro de téléphone de mon psychiatre. J’ai travaillé là-bas
pendant un an, et les parents comme les enfants étaient particulièrement satisfaits de mon travail et des cours de langues que je dispensais. La directrice à cependant mis tous mes collègues au courant de ma maladie et,
quand j’ai eu l’occasion de voyager à l’étranger avec les enfants, elle a ouvertement déclaré que je n’étais qu’une « folle » et que je ne devrais aller nulle part.
Ma famille n’a pas les moyens de m’aider financièrement, et je me sens isolée, sans garanties sociales. La recherche d’un logement est un autre grand défi. J’irais jusqu’à dire que ce problème
complique ma santé mentale.
En effet, il m’a fallu longtemps avant de trouver un endroit où habiter, car certains propriétaires avaient peur de ma maladie. (Un de mes amis m’a même demandé un
jour si je laissais parfois le four à gaz allumé.) J’ai fini par louer une chambre dans un appartement, ce qui n’est pas l’idéal, et j’attends que se libère un « appartement social ».
Cela peut prendre 20 ans, car la municipalité tarde à résoudre les problèmes de logement.
D’autre part, je suis très heureuse de ne plus être dépendante de mes parents, et de vivre dans
une grande ville où les possibilités sont plus nombreuses.
J’ai commencé à aller mieux quand j’ai rejoint, en 2001, une organisation de personnes souffrant de troubles mentaux, le Club 13&Co.
Il s’agit d’une institution indépendante accueillant non seulement les personnes ayant un passé psychiatrique, mais aussi leur famille, leurs proches, les professionnels de santé et les donateurs. Le Club 13&Co.
m’a aidée à retrouver confiance en moi, en me donnant de nombreuses occasions de satisfaire mes besoins intellectuels, spirituels, culturels et sociaux. Les patients et leurs proches membres de cette organisation sont devenus comme
une famille pour moi. Nous sommes toujours en contact et, en cas de problèmes, nous essayons de les résoudre ensemble.
Depuis mon adhésion au club, j’ai participé à plusieurs activités (cours,
ateliers, conférences, campagnes, excursions et expositions d’art en Lituanie et à l’étranger). On peut même affirmer que je fais en quelque sorte carrière dans l’organisation. Après un an,
j’ai été nommée au comité de rédaction de son journal « Les nouvelles du Club 13&Co. ». En ma qualité de membre du comité, je parcours Internet pour sélectionner des articles
intéressants, les traduire et les publier dans notre journal afin que tout le pays en profite.
En 2002, j’ai été élue au Conseil d’administration. Si j’ai d’abord commencé comme
bénévole, je touche un salaire partiel depuis ces deux dernières années, et fais office de secrétaire du Conseil et d’assistante du projet de sensibilisation. Le Club 13&Co. m’a permis de moduler
mon travail en fonction de mes capacités et de ma santé. Malheureusement, le financement de l’organisation s’est interrompu, et nous devons passer énormément de temps à rédiger de nouvelles demandes
de fonds pour nos projets.
Quand je regarde en arrière, je me dis que je me suis battue et que j’ai grandi avec mon organisation. J’ai progressivement repris confiance en moi-même, et je me suis rendu compte que
j’étais encore capable de pas mal de choses. Non seulement j’utilise mes compétences de toujours, mais j’en découvre aussi de nouvelles. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de parler de mon passé
psychiatrique devant un large public ou à la radio, par exemple. (Cependant, j’aurais encore du mal à participer à une émission de télévision, à cause du problème de la stigmatisation.)
Outre le Club 13&Co., je pense que le principal facteur ayant conduit à ma réinsertion sociale a été ma coopération efficace avec plusieurs professionnels de la santé mentale dans son Conseil d’administration,
à savoir le psychiatre Danguole Survilaite (le président), et une infirmière psychiatrique. Ces deux professionnels nous ont encouragés à assister à des séminaires sur les maladies psychiatriques et
la réadaptation, et à lire des articles et des ouvrages à ce sujet. En ce qui me concerne, l’accumulation d’un grand nombre de connaissances théoriques et pratiques sur ma maladie me permet d’éviter
la répétition de mes épisodes psychotiques.
Il m’arrive parfois de regretter de n’avoir jamais fini mes études de maîtrise. Il me restait une année, mais maintenant je ne peux plus me
le permettre financièrement. En outre, je ne me sens pas très à l’aise sur certains points, comme mon état de santé, le stress des examens et la stigmatisation de la part des professeurs. Je participe également
à plusieurs activités stimulatrices et je rencontre beaucoup de personnes intéressantes grâce au Club 13&Co. J’ai donc une vie enrichissante malgré ma maladie.
Comment le témoignage de Monika peut-il influencer l’élaboration des politiques de la santé mentale ?
Comme d’autres témoignages, cette histoire met en évidence la force destructrice de la stigmatisation dans la vie d’une personne à la fois compétente et engagée. Les ambitions de Monika sont modestes, et partagées par tous : vivre chez soi et gagner de l’argent. Son témoignage nous raconte comment ces objectifs n’ont pu être atteints à cause d’employeurs peu scrupuleux et ignorants. Or, Monika est tout à fait capable de réaliser ses ambitions. Certes, je me félicite de son expérience positive dans cette organisation de patients. Mais l’insertion sociale doit se traduire par des chances de vie égales dans le complexe tissu social, et non pas simplement par une attitude de tolérance au sein d’institutions liées à la santé mentale.
Cette histoire fournit de nombreux exemples de manque d’informations et de choix, et de rejet de perspectives et de possibilités, notamment par des personnes et des services financés par la société pour soutenir des cas comme celui de Monika. Si la société veut croire en la responsabilisation et en l’intégration, elle doit venir à bout de la discrimination. Des témoignages comme celui de Monika sont capables d’émouvoir les responsables politiques. Si l’on continue à transmettre le même message, à savoir celui d’une souffrance personnelle injuste et inutile, de la perte de talents pour la société et de l’existence de méthodes permettant d’améliorer cette situation, quelqu’un se rendra sans doute compte que la coupe est pleine et prendra la décision qui s’impose.
Réponse du docteur Matt Muijen, conseiller régional, Maladies non transmissibles et environnement, Bureau régional de l’OMS pour l’Europe