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Combattre la stigmatisation et la discrimination pour réduire la résistance aux antimicrobiens : l’approche adoptée en Suède

18 novembre 2024

« La stigmatisation qui découle d’une menace bactérienne, souvent asymptomatique, est difficile à comprendre. Quand elles sont insuffisantes ou contradictoires, les informations peuvent être source d’incertitude pour les personnes entrant en contact avec le système de santé et dans leur vie sociale », explique le docteur Gudrun Lindh, spécialiste des maladies infectieuses à la retraite et consultante principale du Service des maladies infectieuses de l’Hôpital universitaire Karolinska et du Karolinska Institutet à Stockholm (Suède). La passion du docteur Lindh pour l’épidémiologie l’a amenée à travailler sur la résistance aux antimicrobiens, notamment les répercussions sociales et sur la santé mentale de Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM). 

Le SARM est un type courant de bactérie staphylococcique qui peut résister à plusieurs antibiotiques. Ces bactéries se propagent dans la population par contact avec des personnes infectées par le SARM et leurs plaies, ou par contact avec du matériel contaminé. Le SARM est toujours classé dans la catégorie des agents pathogènes hautement prioritaires dans la Liste des agents pathogènes bactériens prioritaires de l’OMS. Tout le monde peut être infecté par le SARM ou être porteur du SARM sans présenter de signes ou de symptômes. Le risque de contracter cette infection augmente chez les personnes soignées à l’hôpital ou dans des établissements de soins de longue durée. 

Depuis 2000, une infection au SARM est une maladie à déclaration obligatoire en vertu de la loi suédoise sur les maladies transmissibles, et est classée comme une maladie représentant une menace pour la santé publique. Le SARM, une fois diagnostiqué, était autrefois considéré comme une infection à vie en Suède, inscrite avec un symbole d’avertissement dans le dossier médical du patient. En raison du manque de connaissances des patients, du personnel soignant et du public sur le SARM, nombreux sont ceux qui ont été communément victimes de stigmatisation et discrimination, y compris ceux qui n’étaient que porteurs asymptomatiques d’une maladie infectieuse. Des enfants auparavant en bonne santé, identifiés comme porteurs du SARM sans aucun facteur de risque apparent, ont également subi cette stigmatisation. 

Le SARM et la stigmatisation

Dans la région de Stockholm, le directeur général de la santé a lancé un programme de prise en charge du SARM qui a révélé un quintuplement des cas entre 2000 et 2011 (de 5 à 24 cas pour 100 000 personnes), une situation qui a fait surgir des problèmes imprévus dans le système de soins de santé et dans la communauté.

Les premières années de surveillance du SARM ont révélé un manque généralisé de connaissances sur ces bactéries parmi le personnel soignant et les patients. L’absence de mesures d’hygiène adéquates et les conséquences de cette situation dans les établissements de soins ont été également mises en évidence. La prise en charge du SARM dans les services ambulatoires a d’abord été considérée comme une tâche peu prioritaire et n’a pas été bien comprise. Des problèmes sont également apparus dans les établissements scolaires où les enseignants ont parfois été informés inutilement qu’un enfant a été diagnostiqué porteur du SARM, et/ou ont eu peur car ils ne comprenaient pas ce que signifiait être porteur du SARM.

Dans la région de Stockholm, si la transmission de la bactérie s’est d’abord produite principalement dans les établissements de soins, l’infection s’est ensuite transmise au sein des communautés, à l’instar des tendances observées dans d’autres pays. En milieu scolaire, certains enfants souffrant de déficiences fonctionnelles, diagnostiqués porteurs du SARM, se sont vu refuser l’autorisation de retourner à l’école, et les parents ont eu besoin d’un soutien supplémentaire pour relever ce défi. Ces expériences et comportements négatifs montrent que le risque d’infection doit être bien compris, et qu’il ne faut ni l’ignorer ni l’exagérer. Il s’avère en outre tout aussi important de prendre des mesures anti-infectieuses.

Autostigmatisation et bien-être émotionnel

« La recherche nous a appris que la compréhension et la perception que les membres de la population peuvent avoir du SARM sont liées à la fois à leur qualité de vie et à leur expérience de la stigmatisation », explique le docteur Lars E. Eriksson, professeur de soins infirmiers au Département de neurobiologie, sciences des soins et société du Karolinska Institutet en Suède et à la Faculté des sciences de la santé et de la psychologie de City St George’s, Université de Londres, au Royaume-Uni.

« En Suède, nous avons constaté des parallèles avec la stigmatisation et la discrimination subies par les personnes séropositives au cours des premières années de la pandémie de VIH/sida », ajoute le docteur Eriksson. « Les enseignements tirés d’autres pathologies stigmatisantes montrent qu’il existe une relation entre l’autostigmatisation et le bien-être émotionnel. Celle-ci sous-tend d’ailleurs l’importance d’améliorer les connaissances et la sensibilisation du personnel soignant et des patients afin de prévenir le sentiment de culpabilité et d’autres attitudes négatives à l’égard de soi susceptibles de se développer chez les personnes atteintes du SARM ou infectées par d’autres agents pathogènes résistants aux antimicrobiens. »

« Certaines personnes chez qui le SARM a été diagnostiqué s’isolaient de leur famille », se souvient le docteur Lindh. « Nombreux sont ceux qui ont fait face à des contraintes dans leur vie quotidienne. Certains se sentaient salis, et respectaient scrupuleusement les règles. Ils mettaient également en question l’obligation d’informer le personnel soignant de leur infection, et estimaient parfois qu’ils en savaient plus sur la maladie que leurs prestataires de soins de santé. Certains professionnels de santé craignaient même de toucher les patients et préféraient rester en dehors de la salle de consultation, ce qui a eu pour conséquence la prestation de soins inadéquats, les patients chez qui le SARM a été diagnostiqué souhaitant d’ailleurs se débarrasser de ce qu’ils percevaient comme une souillure pestiférante. »

« Dédiagnostiquer » le SARM

Un programme subventionné par le Conseil du Comté de Stockholm a été lancé en 2009 dans le but de « dédiagnostiquer » les porteurs asymptomatiques du SARM, d’améliorer les connaissances du personnel soignant et des patients, et de mieux les sensibiliser. Il a été procédé au suivi des personnes diagnostiquées avant 2009 et au suivi prospectif des nouveaux cas de SARM de 2009 à 2011. Une personne non porteuse du SARM a été définie comme telle après l’obtention d’au moins 3 échantillons négatifs consécutifs de culture bactérienne pendant 12 à 18 mois, sans aucun facteur de risque. Les résultats du programme ont permis de désinscrire 30 % des patients dans le groupe rétrospectif et 56 % dans le groupe prospectif. Fait remarquable, seuls 21 % des patients atteints du SARM ont été traités aux antibiotiques. On était donc au début d’une nouvelle ère qui représentait un grand soulagement pour les patients et les prestataires de soins.

Plus de 4 349 personnes ont été diagnostiquées comme non porteuses au cours des années 2010-2022. Aujourd’hui, seuls 2 échantillons de culture négatifs, à au moins 3 mois d’intervalle, sont nécessaires pour que les personnes ne présentant aucun facteur de risque soient diagnostiquées comme non porteuses. On peut donc en conclure que les bactéries du SARM peuvent disparaître. En outre, les nouveaux cas sont confiés à une équipe spécialisée dans la prise en charge du SARM qui suit un processus systématique avec des rôles et des responsabilités clairement définis. Les professionnels de santé ont amélioré leurs connaissances grâce à des séances de formation, des consultations et des séminaires pédagogiques, ce qui a permis à ces derniers d’être mieux informés et plus confiants, et aux patients d’être plus satisfaits. 

Au sein de la communauté, les enfants chez qui le SARM a été diagnostiqué peuvent continuer à fréquenter les établissements préscolaires et scolaires et à participer à toutes les activités, à condition que les parents et les enfants respectent les règles de conduite. Les parents ne sont pas tenus d’informer l’école en l’absence de facteurs de risque. Les révisions et les améliorations apportées au dépistage du SARM sont conformes au mandat du Programme stratégique suédois pour l’usage rationnel des agents antimicrobiens et la surveillance de la résistance, lancé en 2008, qui reste un modèle de travail national important et performant pour la gestion des connaissances en vue de lutter contre la résistance aux antimicrobiens dans les soins de santé.

Éduquer. Promouvoir. Agir maintenant.

Le docteur Lindh insiste sur le fait que les connaissances sont souvent un « produit frais » et qu’elles doivent être constamment renouvelées car les porteurs du SARM sont encore stigmatisés, surtout chez les personnes mal informées, parfois en raison de la barrière de la langue. Elle plaide en faveur d’une sensibilisation du public à l’infection par le SARM afin d’éviter que cette stigmatisation ne persiste, et met en avant la nécessité d’informer sur le caractère généralement guérissable du SARM et sur la prévention de la transmission par la prise de simples mesures comme l’hygiène des mains.

Afin de pallier les effets de la stigmatisation dans le contexte de la résistance aux antimicrobiens, il convient d’adopter une approche centrée sur la personne qui reconnaisse le rôle central des individus et des communautés s’agissant de combattre ce phénomène de résistance et d’aider à combler les faiblesses et les lacunes des efforts de lutte menés actuellement. La Feuille de route européenne sur la résistance aux antimicrobiens pour la Région européenne de l’OMS 2023-2030 affirme que la résistance aux antimicrobiens constitue une menace majeure tout au long de la vie des individus, et cela s’applique également à leurs conditions de vie et de travail. Ce phénomène de résistance risque de compromettre la qualité des soins et la sécurité des patients dans le continuum des soins. L’approche centrée sur la personne reconnaît le rôle de tout un chacun en tant que partenaire dans la lutte contre la résistance aux antimicrobiens en donnant aux individus les moyens d’agir, et implique un changement fondamental dans la manière dont les systèmes de santé sont mis en place.

« Il importe d’éviter autant que possible les infections communautaires et associées aux soins causées par le SARM ou tout autre agent infectieux. Les personnels de santé et des services sociaux doivent tous appliquer des mesures de lutte anti-infectieuse adéquates dans les lieux où sont dispensés des soins de santé et des services sociaux, quels que soient le prestataire et le type de soins ou de service, et que le patient et/ou le bénéficiaire soit ou non infecté. Par conséquent, tous les prestataires de soins doivent s’assurer que le personnel et les agents de santé connaissent et appliquent les précautions standard des pratiques de lutte anti-infectieuse lorsqu’ils prodiguent des soins à tous les patients, à tout moment et dans tous les contextes. Les médecins et les personnels infirmiers jouent un rôle important dans le renforcement des mesures de lutte anti-infectieuse adéquates. Les lignes directrices doivent être fondées sur des données probantes et régulièrement révisées », insiste le docteur Lindh. 

La lutte anti-infectieuse est une approche pratique, fondée sur des données probantes, qui vise à prévenir les infections évitables, y compris celles causées par des agents pathogènes résistants. L’OMS/Europe aide les États membres à réduire la résistance aux antimicrobiens en renforçant les mesures de lutte anti-infectieuse, telles que l’hygiène des mains efficace, l’application de précautions standard et basées sur la transmission, ainsi que le nettoyage et la désinfection des surfaces dans tous les établissements prodiguant des soins de santé. Les programmes nationaux de lutte anti-infectieuse doivent prévoir, et il s’agit là d’une fonction essentielle, la formation de l’ensemble du personnel de santé à tous les niveaux de soins aux méthodes de lutte anti-infectieuse, en développant les aptitudes et les compétences nécessaires pour aider le personnel de santé à mener un effort collectif en vue de réduire la propagation des agents pathogènes résistants aux antimicrobiens et contribuer à lutter contre la stigmatisation liée au fait d’être porteur de ces agents pathogènes.

Semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens

La Semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens est une campagne mondiale visant à mieux faire connaître et comprendre la résistance aux antimicrobiens, et à promouvoir les meilleures pratiques chez toutes les parties prenantes, y compris le public, afin de réduire l’émergence et la propagation des infections pharmacorésistantes. Elle est célébrée chaque année du 18 au 24 novembre. Le thème de la Semaine mondiale pour un bon usage des antimicrobiens 2024, « Éduquer. Promouvoir. Agir maintenant », appelle la communauté internationale à éduquer les parties prenantes sur la résistance aux antimicrobiens, à promouvoir la prise d’engagements audacieux et à mener des actions concrètes en réponse à ce phénomène de résistance. L’OMS/Europe collabore avec les pays afin de mieux sensibiliser à la résistance aux antimicrobiens et d’en améliorer la compréhension, et d’induire les changements de comportement nécessaires et ce, grâce à des campagnes, à l’éducation et à la formation à tous les niveaux et dans l’ensemble de la société. 

La résistance aux antimicrobiens est à l’origine de 133 000 décès chaque année dans la Région européenne de l’OMS et, selon les estimations, coûte aux pays de l’Union européenne et de l’Espace économique européen 11,7 milliards d’euros par an. Il est urgent d’agir sur ce phénomène de résistance pour améliorer la santé et sauver des vies. Comme nous l’a appris l’exemple suédois, on peut et on doit faire beaucoup plus pour attirer l’attention sur les effets néfastes de la stigmatisation sur les systèmes de santé, sur les communautés ainsi que sur la santé mentale et le bien-être des populations.