« Certains de mes collègues sont un peu perplexes », avoue le docteur Rosa Nodirshoeva, que l’on appelle simplement ici « docteur Rosa ». « Cela fait quelques mois que nous n’avons pas eu de cas de septicémie. Ils trouvent cela inhabituel », ajoute-t-elle en souriant à sa collaboratrice, le docteur Joyrine Biromumaiso, avant de déclarer : « mais vous et moi, nous savons pourquoi ».
Le docteur Rosa s’installe confortablement dans son fauteuil. Elle exhale un air d’autorité, qui va de pair avec sa position de médecin-cheffe à la grande maternité numéro 1 de Douchanbé (Tadjikistan). Le docteur Rosa exerce dans cet établissement de santé depuis plus de 30 ans, et le connaît sur le bout des doigts.
Elle travaille en étroite collaboration avec le docteur Joyrine, une experte en lutte anti-infectieuse basée au bureau de pays de l’OMS au Tadjikistan. Aujourd’hui, elles discutent des changements survenus depuis le début de leur étroite collaboration, il y a un peu plus de 3 ans.

Dr. Rosa Nodirshoeva. © WHOPrévention des infections nosocomiales
« La formation à la lutte anti-infectieuse a changé notre façon de travailler », explique le docteur Rosa. « Auparavant, des infirmières et infirmiers ayant des années d’expérience pouvaient accidentellement infecter un patient en effectuant les procédures les plus simples, comme la pose d’un cathéter, parce qu’ils ne connaissaient tout simplement pas les mesures et les techniques appropriées pour prévenir les infections nosocomiales. Ils n’avaient pas été bien formés. »
Le docteur Rosa explique que cela fait plusieurs dizaines d’années que l’établissement œuvre à l’amélioration de la lutte anti-infectieuse. Cependant, depuis qu’elle travaille avec le docteur Joyrine, l’établissement a été en mesure de renforcer considérablement ses capacités et d’enregistrer des progrès plus rapides à cet égard.
Elle donne des exemples d’améliorations apportées, ajoutant que le personnel est désormais très attentif aux mesures de lutte anti-infectieuse, et qu’il comprend l’importance de ces mesures pour dispenser des soins de qualité en toute sécurité.
« Notre personnel applique les 5 indications pour l’hygiène des mains et fait preuve de beaucoup plus de diligence en matière de nettoyage. Mes collègues savent comment se débarrasser correctement des seringues usagées, des masques et des autres déchets médicaux. Notre établissement a clairement exprimé le besoin de désinfectants et d’autres produits de santé utilisés pour la protection. Nous disposons désormais d’appareils contenant des solutions désinfectantes dans l’ensemble de l’établissement. Les patients veulent recevoir des soins de qualité et tous ces changements nous aident à les protéger, ainsi que nos professionnels de santé, contre les infections nosocomiales. »
Le docteur Rosa indique qu’un simple rappel suffit parfois à éviter une tragédie, et que les patients eux-mêmes sont devenus plus conscients de leur propre santé. « Ils peuvent venir pour un traitement, mais s’ils voient que le médecin ne s’est pas lavé les mains, ils le mentionnent. »

© WHOMoins de cas d’infection
Au bout du couloir, on entend une future maman exprimer son inconfort. Près de 1 000 bébés naissent chaque mois dans cette maternité. Un bébé sur 5 est mis au monde par césarienne car l’établissement accueille des femmes souffrant de complications de toutes les régions du pays.
Si, auparavant, au moins 2 ou 3 cas de complications septiques étaient enregistrés chaque mois à la maternité, la situation a évolué ces dernières années. L’établissement a également constaté une réduction spectaculaire d’autres infections, notamment l’hépatite B chez les personnels de santé. Les améliorations apportées à la lutte anti-infectieuse ont été la clé de ce succès.
Le docteur Joyrine est fière des réalisations du docteur Rosa et de son personnel. Elle-même sait à quel point des pratiques appropriées de lutte anti-infectieuse permettent de sauver des vies. Elle était en Afrique de l’Ouest au plus fort de la crise d’Ebola, qui a fait plus de 11 000 victimes. En tant qu’agent de première ligne, elle a formé des personnels de santé à dispenser un traitement sûr et à se protéger contre le virus, mais celui-ci s’est avéré fatal pour nombre de ses collègues.
Après cette terrible expérience, le docteur Joyrine est désormais l’une des plus ardentes défenseuses de la mise en œuvre de programmes de lutte anti-infectieuse dans les établissements de santé. « Au Tadjikistan, j’évoque souvent mon expérience en Afrique de l’Ouest et en Afrique de l’Est et de ce que j’ai vu sur le terrain. »
Elle explique que le sujet des normes culturelles revient souvent. « En ayant une conversation ouverte sur les pratiques et les traditions culturelles, par exemple celles liées aux rites funéraires, les personnels de santé tadjik commencent à comprendre comment les infections peuvent se propager. Ils sont désireux de connaître les orientations de l’OMS et d’appliquer les pratiques et les techniques que nous recommandons. C’est pourquoi nous constatons de telles améliorations. »
Depuis que le docteur Joyrine a commencé à travailler au Tadjikistan, la situation a énormément évolué. Avec le soutien technique de l’OMS, le pays a élaboré en 2022 de nouvelles lignes directrices nationales sur la lutte anti-infectieuse. Le soutien financier de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a été crucial pour l’élaboration de nouvelles orientations destinées aux agents de santé sur la manière de mettre ces mesures en pratique.

© WHO« La lutte anti-infectieuse est fondamentale »
Ces dernières années, sur la base des lignes directrices de l’OMS sur la lutte anti-infectieuse et en collaboration avec d’autres organisations, comme le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF), plus de 8 000 personnels de santé ont été formés à la lutte anti-infectieuse dans le pays. Du matériel de formation et de communication de qualité a été élaboré dans les langues nationales.
De nombreux partenaires aident le Tadjikistan à garantir l’accès à des infrastructures et à des services adéquats en matière d’eau, d’assainissement et d’hygiène, ainsi qu’à du matériel et à des équipements essentiels pour la lutte anti-infectieuse, afin de dispenser des soins en toute sécurité.
Le travail acharné se poursuit. De nombreux établissements du pays n’appliquent toujours pas les bonnes pratiques de lutte anti-infectieuse, et de nombreux autres personnels de santé ont besoin d’être formés. En outre, le manque d’accès à l’eau courante dans les établissements de santé et le manque d’équipements de protection individuelle comme les gants, les masques et les désinfectants pour les mains à base d’alcool constituent des obstacles majeurs à la mise en œuvre des mesures de lutte anti-infectieuse.
Avec le soutien de l’USAID, le docteur Joyrine formera une équipe de contrôle et d’évaluation qui jouera un rôle déterminant dans le suivi des progrès réalisés dans les établissements de santé de tous les districts du Tadjikistan. Les prochaines étapes clés pour le pays consistent également à veiller à ce que des cours sur la lutte anti-infectieuse soient incorporés dans tous les programmes d’études médicales et proposés systématiquement aux personnels de santé dans les établissements.
La constitution d’un nouveau vivier d’agents de santé, entièrement chargés de l’orientation et du suivi de la mise en œuvre correcte des pratiques de lutte anti-infectieuse dans les établissements de santé, est une recommandation clé de l’OMS.
Un agent d’entretien passe devant la pièce où sont assises les docteurs Rosa et Joyrine. Le docteur Rosa ajuste ses lunettes et déclare : « la lutte anti-infectieuse est fondamentale. Si l’on ne sait pas comment prévenir les infections, on ne peut pas travailler dans un établissement de soins de santé. »