WHO / Max Schulte
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Être conjoint aidant, qu’est-ce que ça implique ? Témoignages d’une Irlandaise et d’une Britannique

27 octobre 2023

« Mon rôle d’aidante n’est pas tant axé sur des tâches à accomplir. Kevin peut faire toutes sortes de choses, comme se brosser les dents, s’habiller, tout ça. C’est sa notion de l’espace qui est altérée, et il y a donc beaucoup de petits dangers auxquels il faut que je fasse attention pour l’aider. »

Helena, qui habite Kanturk (Irlande) est l’épouse de Kevin (60 ans), chez lequel on a diagnostiqué, voici 7 ans, une démence à corps de Lewy, une maladie dégénérative du cerveau qui affecte le comportement, les facultés cognitives, les fonctions motrices et le fonctionnement du système nerveux autonome.

« Maintenant, c’est toujours moi qui dois conduire parce qu’il n’a pas la notion de l’espace requise pour conduire en toute sécurité », dit-elle. « Et il se fatigue rapidement quand il effectue des tâches physiques, comme tondre la pelouse ou couper du bois pour le feu, donc je finis souvent par faire ça aussi. »

Dans la Région européenne, près d’un adulte sur 5 s’occupe activement d’un membre de sa famille, d’un ami ou d’un voisin. La plupart de ces soins sont dispensés par des femmes, comme Helena, âgées de 45 à 64 ans.

Valli, qui vit à Oxford (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord), a également vu sa vie changer radicalement depuis que son mari, Des (67 ans), a commencé à présenter, lui aussi, des signes de la maladie à corps de Lewy.

« C’était Des qui tenait tous nos comptes, payait les factures du ménage et effectuait la planification financière, mais maintenant, il ne peut plus le faire », dit Valli. « Je dois gérer les rendez-vous de Des et m’assurer qu’il prend ses médicaments quand il le faut, et planifier tous nos voyages. Il y a beaucoup de choses qui reposent désormais sur mes épaules. J’ai dû prendre le contrôle. »

Comme le raconte Helena, cette maladie peut également provoquer des manifestations psychotiques très perturbantes. « Kevin a souvent des hallucinations visuelles ; il voit des gens qui ne sont pas là, [sent] des odeurs fétides imaginaires qu’il compare à de la chair en décomposition, et a régulièrement d’horribles cauchemars. Dans ces moments difficiles, je suis là pour le réconforter. »

Les Nations Unies ont décrété que le 29 octobre 2023 serait la première Journée internationale des soins et de l’assistance, soulignant la nécessité d’investir dans l’économie du soin et de créer des systèmes de soins et de soutien qui tiennent compte du genre, des handicaps et de l’âge, afin de reconnaître à leur juste valeur les soins, le travail domestique et l’accompagnement non rémunérés, de les limiter, de les valoriser et de les redistribuer. 

S’accommoder d’une nouvelle vie 

Il n’est pas surprenant que les 2 couples aient mis plusieurs années à s’adapter au bouleversement total de leur situation, comme l’explique Valli. « Il a fallu longtemps pour que Des accepte le diagnostic. Pendant les 2 premières années, au moins, je l’ai aidé à admettre qu’il était atteint de démence, que c’était une réalité et que ce n’était pas comme une jambe cassée qu’on allait soigner. C’est pour toujours. »

Et pour Des, ce soutien a été essentiel. « Valli est mon épouse, ma meilleure amie et ma source d’inspiration », explique Des. Elle m’a permis de continuer à avancer. Oui, je suis celui qui a reçu le diagnostic, mais c’est Valli qui a l’énergie et les capacités intellectuelles pour nous aider à traverser les moments les plus difficiles. »

« Notre plus grande force, c’est que nous avons réussi à rester positifs et résilients, et c’est en grande partie parce que Valli est capable de donner de l’élan à la vie quotidienne, ce que je n’aurais pas pu faire sans elle. » 

Obtenir des informations et un soutien 

L’évolution de l’état de santé de son mari a conduit Valli à recueillir le plus possible de renseignements sur la démence à corps de Lewy, ainsi que sur l’aide extérieure à laquelle ils pourraient faire appel en cas de besoin.

« Je suis quelqu’un de très pragmatique, alors quand le diagnostic est tombé pour Des, la première chose que j’ai faite a été d’aller en ligne et de faire des recherches sur les conséquences immédiates et à long terme, afin que nous sachions à quoi nous attendre », explique Valli.

Des rencontres avec d’autres personnes atteintes de démence et des cliniciens travaillant dans ce domaine l’ont également aidée, ainsi que Des, à mieux comprendre la maladie. « Notre généraliste nous a orientés vers le réseau britannique Young Dementia Network, et nous avons assisté à un grand nombre de ses réunions pour nous faire une idée des effets de la démence sur différentes personnes à différents stades de la maladie et voir comment elles parvenaient à gérer ça », ajoute Valli. « Nous participons également aux réunions du groupe de soutien contre les démences rares de l’University College London (UCL) – avec des réunions distinctes pour les personnes malades et pour leurs aidants. Nous avons tous les 2 trouvé cela très utile sur le plan pratique, émotionnel et scientifique. »

Pour les 2 couples, le fait d’avoir un cercle d’amis et une famille qui les soutiennent a sans aucun doute facilité leur parcours face à la démence. 

Des « compagnons de voyage » positifs 

Toutefois, Valli admet qu’elle n’aime pas trop l’étiquette d’« aidante ». Elle préfère envisager leur situation comme un voyage évolutif dans lequel Des et elle-même sont des passagers-accompagnants.

« Au début, il s’agissait de trouver à tout prix des informations sur la maladie, de l’accepter, d’obtenir le soutien financier et de se rendre aux rendez-vous médicaux pour gérer la santé physique de Des », dit Valli. « Maintenant, il faut s’adapter à l’évolution de ses symptômes, faire des recherches et obtenir ce qui va l’aider à les gérer, que ce soit un nouveau médicament ou des technologies d’assistance, par exemple. »

Elle estime qu’il est essentiel de se concentrer sur les capacités de Des, et non sur ses handicaps, et insiste sur la nécessité de préserver son autonomie (sa capacité à penser et à faire les choses par lui-même) le plus longtemps possible.

« Les personnes atteintes de démence peuvent très facilement constater que leur vie se rétrécit et qu’elles ne font plus autant, ou ne sortent plus autant qu’avant », dit Valli. « Mais tant que Des est toujours capable de gérer un large éventail de tâches et de situations, il peut encore être un citoyen très actif. » 

Faire campagne pour plus de compréhension et de soutien 

Désormais, les 2 couples s’emploient activement à attirer l’attention sur la démence à corps de Lewy et son impact sur les aidants, tant dans leur pays que sur le plan international.

Au cours des 6 dernières années, Kevin a écrit 2 livres sur son expérience de la maladie et accordé de nombreuses interviews à la télévision, à la radio et à la presse irlandaises. Il est président de l’Irish Dementia Working Group [groupe de travail irlandais sur la démence], vice-président de l’European Working Group of People with Dementia [groupe de travail européen de personnes atteintes de démence] et co-fondateur de Lewy body Irland, un groupement d’aide face à la démence à corps de Lewy.

« Je suis très occupé, et c’est voulu », dit Kevin, « parce que le jour viendra où je ne serais plus capable de faire ce genre de choses. Bien entendu, je veux retarder l’arrivée de ce jour le plus longtemps possible. »

Helena est présidente du « Dementia Carers Campaign Network », un réseau irlandais d’aidants de personnes démentes, qui fait campagne pour éliminer la stigmatisation culturelle de cette maladie.

« Quoique les choses s’améliorent, beaucoup de gens, surtout dans les zones rurales, sont honteuses de la démence et n’appellent pas à l’aide », déplore-t-elle. « Il y a aussi des groupes, comme les gens du voyage, qui restent hors de portée. Nous voulons changer ça. »

Des et Valli, quant à eux, ont mis à profit leurs compétences d’enseignants et de pédagogues pour faire connaître les changements survenus dans leur vie à cause de la démence.

« Nous avons transformé les choses que nous faisions avant la démence en choses qui sont utiles en l’état actuel », dit Valli. « Et par là, je veux dire faire des présentations et des exposés, et rencontrer d’autres personnes de toute l’Europe ayant l’expérience de la maladie lors d’événements tels que Walking the Talk for Dementia (une marche et un symposium organisés chaque année en Espagne et réunissant des professionnels de santé, des activistes, des décideurs politiques, des chercheurs et des personnes atteintes de démence et leurs aidants venus de plus de 20 pays).

Le soutien de l’OMS/Europe aux aidants informels 

En partenariat avec la Commission européenne, l’OMS/Europe s’efforce de sensibiliser aux effets néfastes d’une prise en charge intensive ou prolongée sur la santé et le bien-être, et d’améliorer l’accès à une formation pour les aidants. L’OMS/Europe le fait notamment grâce à un cours interactif en libre accès, élaboré pour soutenir les aidants informels en leur facilitant l’accès à l’information, aux connaissances et aux aptitudes requises pour fournir des soins et les aider à prendre soin d’eux-mêmes et à assurer leur propre bien-être.

L’OMS/Europe travaille également en étroite collaboration avec les pays afin d’échanger des informations sur les interventions innovantes pour protéger les aidants informels, promouvoir une répartition plus équitable des tâches d’aidants et améliorer la coordination et la coopération entre les professionnels de l’aide à la personne et les aidants informels.

Dans toutes ces activités, l’OMS/Europe s’efforce de veiller à ce que les aidants informels et les bénéficiaires de soins participent à l’élaboration et à la production de documents et de politiques utiles.

Voici quelques informations supplémentaires sur les aidants informels en Europe :

  • dans l’Union européenne, pas moins d’un enfant ou jeune adulte sur 10, âgé de 18 à 29 ans, est également un aidant ;
  • dans l’Union européenne, 1 adulte aidant sur 10 a été contraint de quitter son emploi ou de réduire son temps de travail pour s’occuper d’un membre de sa famille ;
  • l’apport de soins informels pendant des périodes prolongées et intenses peut avoir des effets néfastes et durables sur la santé et le bien-être des aidants : en Europe, les aidants informels présenteraient 20 % de problèmes de santé mentale en plus que les autres personne ;
  • la valeur économique du temps consacré aux soins informels en Europe s’élève à 3,6 % du PIB, soit plus que les dépenses publiques allouées à des services officiels d’aide à la personne dans la plupart des pays de l’Union européenne.