Margarida Tavares attribue à la chance le fait d’être « au bon endroit au bon moment. » Il s’agit plus probablement d’une combinaison de sa fascination pour les maladies infectieuses émergentes, de son souci concret de protéger la santé des populations et de son amour de la planification.
La secrétaire d’État portugaise à la promotion de la santé a été confrontée pour la première fois à une grave flambée de maladie infectieuse à São Paulo (Brésil), où elle a vécu pendant son adolescence. Une flambée soudaine de fièvre jaune dans un district local l’a incitée, avec sa famille et ses amis, à participer bénévolement à une campagne de prévention en préconisant des mesures de lutte contre les moustiques reproducteurs, et en encourageant les membres de la communauté concernée à se faire vacciner.
Bien que jeune et non originaire de la région, elle n’a pas été intimidée par la perspective de se rendre dans les communautés marginalisées pour délivrer des messages de santé publique. Elle a suivi depuis une formation de spécialiste des maladies infectieuses. Dans le présent article, nous évoquerons sa passion pour la santé publique, son travail sur la santé en milieu carcéral et, selon elle, les mesures que doivent prendre les pays en préparation de la prochaine pandémie.
Écouter les patients
Le docteur Tavares s’exprime de façon claire et directe, et avec une grande fierté lorsqu’elle évoque ses patients.
« Je connais leur nom à tous, et je sais tout de leurs enfants, de leurs déplacements et de leur travail. Je pose toujours des questions parce que je veux vraiment savoir. »
L’intérêt sincère qu’elle porte à la vie de ses patients ne revêt pas une simple dimension sociale. Son expérience montre que les informations fournies par ces derniers constituent en fait un élément essentiel pour la prestation de soins appropriés. Elle se souvient de la recommandation empreinte d’une grande sagesse faite par un médecin plus âgé de son service.
« Il m’a dit un jour qu’il suffisait de les écouter, d’écouter les patients. Ils vous diront tout ce que vous devez savoir pour les soigner. Depuis, je consacre mon temps à leur écoute. »
Ce simple conseil peut sembler en contradiction avec les progrès rapides de la science et des technologies médicales. Cependant, le docteur Tavares illustre son propos par un exemple récent tiré de son expérience de la coordination de la riposte menée au Portugal en 2022 face à la flambée de variole du singe. Écouter est exactement ce qu’elle a fait.
« Je suis très fière de ce que nous avons accompli à l’époque, et c’était si facile parce qu’on [les personnes exposées au risque de variole du singe] nous a dit ce qu’il fallait faire. Nous avons trouvé des acteurs inattendus, notamment le propriétaire d’un sauna, qui avait une vision claire de la manière de lutter contre cette maladie et de ce qu’il fallait dire aux populations. Qui écoute normalement le propriétaire d’un sauna en pleine crise ? Pourtant, il savait exactement ce qu’il fallait faire. Les gens peuvent nous apprendre à nous, professionnels de santé. Nous devons les considérer comme des parties prenantes. Ils peuvent nous indiquer les meilleures solutions. La plupart du temps, nous n’avons pas besoin de réfléchir à leur place. »
Protéger les populations
La dimension humaine du docteur Tavares dépasse le cadre des patients qu’elle soigne. Sa sympathie naturelle et son sens de la solidarité avec les populations défavorisées sont particulièrement évidents. Évoquant les personnes incarcérées, elle souligne la réalité de leur situation :
« Les détenus sont souvent défavorisés, avant même d’entrer en prison. Perdre sa liberté en prison ne doit pas signifier perdre son droit à la santé ; ce droit doit être garanti, en particulier pour les personnes qui perdent leur liberté. Nous devons donner plus à ceux qui sont défavorisés. Il y a tellement de problèmes dans les prisons, tellement de ces désavantages ; c’est là qu’il faut intervenir. »
Le docteur Tavares explique qu’elle a appris ces principes en étudiant la santé publique. Il ne s’agit cependant pas simplement de valeurs auxquelles elle croit : ses recherches et son expérience de la lutte contre les maladies infectieuses les mettent en avant et les renforcent.
« C’est dans ma spécialité des maladies infectieuses que j’ai le mieux perçu le besoin d’équité. Pour bien se préparer, il faut se tourner vers les plus vulnérables. C’est là que cela commence. Les urgences sanitaires touchent toujours de manière disproportionnée les personnes les plus fragiles, les plus pauvres et les plus vulnérables de notre société. C’est très important pour la prochaine pandémie ou menace de maladie infectieuse. Nous voulons alléger les souffrances, et nous voulons que nos politiques protègent l’ensemble de la population. La prévention profite à tous. »
Soigner les détenus
Le docteur Tavares a choisi de se spécialiser dans les maladies infectieuses à une époque où ce n’était pas un choix populaire parmi les diplômés en médecine. Au milieu des années 1990, le monde affrontait toujours l’épidémie dévastatrice de VIH/sida. Des traitements efficaces faisaient leur apparition, mais de nombreuses personnes, y compris les professionnels de santé, craignaient encore de s’occuper de patients infectés. Au cours de ses premières années d’exercice, la plupart de ses patients étaient séropositifs. Elle est devenue, et est restée, une alliée indéfectible et une avocate des personnes vivant avec le VIH, y compris celles qui sont incarcérées.
La prévalence du VIH dans les prisons portugaises est estimée à un peu moins de 4 %. La majorité des détenus ont accès à des soins médicaux pendant leur incarcération. De nombreuses prisons, mais pas toutes, procèdent au dépistage de maladies infectieuses telles que le VIH et l’hépatite C (VHC) pour ensuite commencer le traitement. Une étude portant sur une prison de Porto, la ville natale de la secrétaire d’État, montre que le diagnostic d’infection par le VHC a été posé en prison pour un nombre important de patients et qu’après un traitement de 12 semaines, le virus n’était plus détectable dans leur sang. L’amélioration de la prise en charge du VIH et du VHC pour les personnes incarcérées fera partie d’un nouveau plan national visant à améliorer la santé en prison.
L’équité, c’est possible
En 2003, le docteur Tavares exerçait à l’Hôpital universitaire de São João à Porto. Alors qu’elle participait à une courte formation sur les maladies infectieuses à l’Université Harvard de Boston, l’OMS a fait sa première annonce sur le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), une nouvelle maladie respiratoire virale apparue en Chine.
« C’était incroyable d’être là à ce moment-là parce que, tout à coup, le programme de cours s’est entièrement concentré sur cette nouvelle situation d’urgence. C’était l’occasion pour moi d’être étroitement associée à ce qui se passait dès le début. »
Depuis sa participation à la préparation de sa région au SRAS, le docteur Tavares a été amenée à diriger le Programme national portugais de lutte contre le VIH et les autres maladies sexuellement transmissibles. Elle a également joué un rôle clé dans la planification de la lutte contre la grippe pandémique, le virus Ebola et la maladie à coronavirus (COVID-19). Ne manquant pas d’expérience pratique, elle se retrouve aujourd’hui à la table des responsables politiques.
« L’équité, c’est possible. Si nous, au ministère de la Santé, n’essayons pas, qui le fera ? Les détenus, les minorités, les migrants, les personnes vulnérables et fragiles, les personnes âgées n’ont pas voix au chapitre. » Quel est donc son message aux responsables politiques en termes de renforcement de la résilience et de préparation à la prochaine pandémie ?
« Veillez à ce que vos populations les plus vulnérables et les plus à risque soient prise en charge, y compris les personnes incarcérées. Investissez dans la santé publique, préparez le personnel et les agences de santé publique, et collaborez avec les personnes et les communautés pour faire venir le « public » à la « santé publique ». Ne nous laissons pas emporter par les questions de sécurité, comme nous l’avons fait lors de la dernière pandémie, qui a conduit à la fermeture des frontières. Plus que la sécurité, je préfère la solidarité.
La santé publique porte avant tout sur la sécurité de la collectivité, et pour le docteur Tavares, c’est la solidarité à travers les politiques et les actions qui permettra d’atteindre cet objectif.
Un plan national pour la santé en prison
Il a été procédé en février 2023 au lancement du Rapport de situation sur la santé en prison dans la Région européenne de l’OMS 2022. En sa qualité de secrétaire d’État, le docteur Tavares a profité de l’occasion pour entamer un dialogue politique sur la santé en prison au Portugal avec d’anciens détenus, des membres du personnel de sécurité et de santé des prisons, des organisations non gouvernementales, des universitaires, l’OMS et des responsables politiques. Le rapport de ce dialogue politique est disponible en ligne.
À la suite de ce processus, le ministère de la Santé a annoncé la création d’un groupe de travail chargé d’élaborer un plan national pour l’amélioration de la prestation des soins de santé en milieu carcéral. Le groupe s’appuiera sur la Base de données européenne de l’OMS sur la santé en prison pour recenser les domaines d’action prioritaires. Les ministères de la Santé, de la Justice, de l’Éducation et des Sciences seront tous impliqués dans le processus décisionnel, aux côtés d’organisations de la société civile. L’OMS/Europe suivra et soutiendra les travaux de ce groupe, par l’intermédiaire de son centre collaborateur à l’Institut de santé publique de l’Université de Porto (ISPUP).
Le plan national devrait être publié d’ici la fin de l’année 2023, et sa mise en œuvre devrait débuter en 2024. Peu de pays disposent de plans stratégiques pour les prisons accessibles au public. À l’instar de l’Irlande, les progrès réalisés par le Portugal dans ce domaine constituent une feuille de route potentielle pour d’autres pays.