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Pourquoi l’aide psychique et psychosociale sont-elles si nécessaires pour gérer les séquelles psychologiques des tremblements de terre en Türkiye ?

9 mars 2023
Communiqué de presse
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L’ampleur et l’impact des tremblements de terre de février 2023 en Türkiye et en Syrie ont provoqué un stress psychologique presque inimaginable chez les personnes qui ont survécu à cette catastrophe. Être happé par les tremblements de terre et, souvent, blessé, voir son habitation fortement endommagée ou détruite et sa ville rasée et désertée, perdre des amis, des membres de la famille et des collègues... l’impact sur la santé mentale des communautés locales est immense. 

Médecins du monde Türkiye a récemment effectué une évaluation des besoins après le tremblement de terre dans plus de 10 sous-districts des districts d’Antioche, de Defne et de Samandağ. Dans le cadre de cette évaluation, 35 % des répondants ont déclaré qu’au moins 1 membre de leur famille était mort. 

Bien que le nombre de personnes interrogées pour l’évaluation ait été très limité, le pourcentage de celles qui ont fait état de symptômes de détresse psychologique et de choc était considérable. Ces symptômes sont notamment une tendance à fondre en larmes, des accès de rage et des modifications de l’appétit ; presque toutes les personnes ont signalé des changements dans leur rythme de sommeil, souvent ponctué par d’horribles retours en arrière sur l’expérience traumatisante qu’elles ont vécue. 

Le traumatisme psychique reste présent bien après les tremblements de terre 

Et le cauchemar continue. Depuis que le premier tremblement de terre de magnitude 7,8 a frappé, le 6 février, plus de 10 000 répliques de diverses ampleurs ont été enregistrées. Les habitants, les équipes de secours et les autres intervenants ont vécu dans un état de peur permanent, chaque grondement apportant son lot de terreur et d’incertitude. 

Aujourd’hui, des centaines de milliers de personnes vivent dans des camps de fortune, dorment dans leur voiture ou doivent trouver refuge dans des logements peu sûrs ou insalubres. Pour beaucoup, l’accès à de l’eau potable reste un problème. 

Bien que les conditions météorologiques se soient améliorées, le changement de température entraîne maintenant de nouvelles difficultés : les tentes et les hôpitaux mobiles surchauffent, ce qui oblige les gens à sortir à l’air libre. Dans moins d’un mois, les températures pourraient grimper à plus de 40°C dans cette région, ce qui fera apparaître de nouveaux facteurs de stress physique et mental. 

Les travailleurs de la santé et les autres intervenants sont également affectés sur le plan psychologique 

Selon le docteur Akfer Karaoglan Kahilogullari, experte en santé mentale au bureau de pays de l’OMS à Ankara (Türkiye), de nombreux professionnels de santé des zones touchées par le tremblement de terre ont également été les premiers intervenants, et se sont efforcés de sortir les gens des décombres des bâtiments détruits, mettant en péril leur propre sécurité pour tenter de les aider. Bien qu’ils aient eux-mêmes souvent perdu des membres de leur famille et leur logis, ils continuent à travailler de longues heures pour soigner les survivants. 

« Beaucoup continuent à exercer leur rôle de soignant parce qu’ils veulent aider leur communauté en ces temps de crise nationale, mais ce faisant, ils risquent de retarder leur propre deuil et d’aggraver leur propre traumatisme en devant faire face à tant de morts et de blessés. » 

Elle ajoute que d’autres aidants de première ligne qui travaillent dans les zones dévastées (policiers, personnel de l’armée, enseignants, chefs religieux, équipes d’intervention internationales...), ont également besoin d’un soutien psychosocial en raison des événements indescriptibles dont ils sont les témoins quotidiens.

Une situation compliquée, sans solutions simples 

Le docteur Yagmur Gok (25 ans) a obtenu son diplôme il y a tout juste 4 mois. Lorsque le premier tremblement de terre a frappé, elle s’est démenée avec 2 autres médecins pour faire sortir les patients de leur hôpital de Gaziantep, puis s’est employée à répondre aux besoins des survivants souffrant de diverses blessures. De plus, lorsqu’elle n’est pas en service, le docteur Gok travaille désormais bénévolement comme interprète au sein d’une équipe médicale d’urgence dirigée par UK-Med et un personnel médical turc. 

« Maintenant, les gens sont en état de choc. Ils s’occupent de leur santé physique et de leurs besoins fondamentaux, mais les effets psychologiques se feront sentir plus tard. Ce qui tracasse les gens en ce moment, c’est de se demander où ils vont vivre et comment ils vont gagner leur vie. Et ils ne savent tout simplement pas quoi faire », explique-t-elle. 

Le docteur Karaoglan Kahilogullari partage cet avis : « Le traumatisme secondaire est omniprésent. Tout le pays est touché, directement ou indirectement, de sorte que les besoins de santé mentale sont réellement inouïs. Il y a également un grand nombre de cas de deuil compliqué : tant de personnes ont du mal à accepter d’avoir perdu quelqu’un, ne peuvent pas enterrer leurs morts ou accomplir les rites religieux importants qui font partie de leur culture pour dire au revoir à un être cher. Certains n’ont même pas de corps à enterrer, ce qui rend le processus de deuil encore plus difficile. »
 
Récemment, le docteur Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, et le docteur Hans Henri P. Kluge, directeur régional de l’OMS pour l’Europe, se sont rendus dans quelques-unes des zones les plus touchées par les tremblements de terre et ont rencontré le docteur Esra Pacaci, du ministère turc de la Santé. Elle leur a expliqué l’ampleur du problème : « Beaucoup de gens ont perdu non pas juste une, mais plusieurs personnes, ainsi que leur logement et leurs moyens de subsistance. Les enfants sont particulièrement traumatisés. Mais les psychologues que nous avons ici sont d’une grande aide. Toute la nation désire s’entraider pour que personne ne se sente seul ou abandonné. »

Quelle aide l’OMS apporte-t-elle ? 

À ce jour, l’OMS a formé plus de 900 membres du personnel du ministère de la Santé à apporter les premiers secours psychologiques et fourni un soutien en ligne à 180 intervenants psychosociaux déployés par le ministère de la Santé et le ministère de la Famille et des Services sociaux. 

Comme l’explique le docteur Karaoglan Kahilogullari, l’OMS joue également un rôle important dans la coordination de tous les partenaires qui réagissent à la crise : « Comme l’OMS a des bureaux dans le pays depuis de nombreuses années, elle a pu établir une relation de confiance avec le gouvernement, les autorités de la santé, les associations professionnelles et les organisations non gouvernementales. Ceux-ci apprécient notre expertise et respectent notre rôle de coordination, qui consiste à rapprocher tout le monde pour réagir à la situation d’urgence. » 

La guerre, les conflits armés et d’autres catastrophes qui sont l’œuvre de l’Homme ou de la nature, comme les tremblements de terre de Türkiye et de Syrie, provoquent une profonde détresse et peuvent, dans certains cas, déclencher des troubles mentaux ou attiser des problèmes psychiques existants. Même si la plupart des gens se remettront sans aide, on estime qu’une personne sur 5 présentera un problème de santé mentale dans les 10 prochaines années. C’est pourquoi une aide psychique et psychosociale de qualité sont essentiels pour le rétablissement de ceux qui se sont trouvés dans une situation d’urgence. 

Un besoin d’aide supplémentaire 

Jusqu’à présent, l’OMS a débloqué plus de 16 millions d’USD de son Fonds de réserve pour les situations d’urgence afin de venir en aide aux personnes frappées par les tremblements de terre de Türkiye et de Syrie, mais comme près de 26 millions de personnes ont été touchées, le besoin d’un financement supplémentaire est aigu. 

C’est pourquoi l’OMS a lancé un appel urgent pour obtenir 84,57 millions d’USD afin de répondre aux besoins immédiats dans l’ensemble de la Türkiye et de la Syrie au cours de ces 3 prochains mois. Il s’agira surtout 

  • de garantir l’accès aux populations les plus vulnérables et les plus touchées ;
  • de dispenser des soins immédiats de traumatologie aux personnes blessées, ainsi que des soins de réadaptation post-traumatiques ;
  • de livrer des médicaments essentiels, des kits d’urgence et des fournitures pour combler les lacunes les plus criantes ;
  • de prévenir et de maîtriser les flambées de maladies, notamment en renforçant la surveillance ;
  • d’élargir l’accès à une aide psychique et psychosociale ;
  • de coordonner la réaction internationale du secteur de la santé, y compris, le cas échéant, l’envoi d’équipes médicales d’urgence ;
  • d’assurer l’accès aux médicaments essentiels, surtout pour les femmes, les enfants, les aînés et les personnes qui souffrent de maladies non transmissibles.