Les politiques de tarification font partie des mesures les plus rentables auxquelles peuvent avoir recours les pays afin de réduire la consommation d’alcool et ses effets néfastes. Publiée en juin 2023, l’évaluation indépendante de la politique écossaise de tarification unitaire minimale a conclu qu’au cours des 2 ans et demi ayant suivi son entrée en vigueur, cette mesure a permis de prévenir des centaines de décès évitables et de réduire les inégalités de santé liées à la consommation d’alcool.
Le rapport, réalisé par Public Health Scotland, a démontré que la politique de tarification unitaire minimale mise en œuvre en Écosse a permis de réduire le nombre de décès directement liés à la consommation d’alcool ainsi que le nombre d’hospitalisations dues à des causes chroniques. On estime que la mortalité imputable à l’alcool a diminué de 13,4 % et les hospitalisations de 4,1 %, les réductions les plus importantes étant observées dans la population masculine ainsi que chez les personnes vivant dans les zones et quartiers les plus défavorisés.
Pourquoi les politiques de tarification sont-elles si efficaces pour réduire les méfaits de l’alcool ?
Il est prouvé qu’il existe un lien direct entre l’accessibilité financière de l’alcool, la quantité consommée et les préjudices causés par l’alcool aux individus, aux familles et à la société. L’OMS considère les politiques de tarification, en particulier l’augmentation des droits d’accise sur l’alcool, comme l’un des 3 meilleurs choix, une notion qui fait référence aux mesures politiques rentables qui maximisent les bénéfices pour la santé avec un minimum de ressources investies.
Les méfaits de l’alcool tendent à se concentrer chez les grands buveurs, en particulier ceux des groupes socioéconomiques défavorisés. En fixant un prix plancher basé sur la teneur en éthanol, en dessous duquel les produits alcoolisés ne peuvent être vendus, la politique de tarification unitaire minimale permet d’augmenter les prix des produits les moins coûteux et les plus forts, ceux que les plus gros buveurs ont tendance à acheter.
L’évaluation réalisée en Écosse démontre qu’en situation réelle, la majoration du prix de l’alcool le moins cher permet de réduire la consommation globale dans la population, et que les bénéfices d’une telle mesure sont particulièrement importants chez les plus gros buveurs. Elle fournit des données probantes hautement fiables aux parlementaires écossais au moment où ils doivent décider des prochaines étapes, et aux autres pays qui envisagent de suivre l’exemple de l’Écosse dans ce domaine.
L’évaluation de la politique de tarification unitaire minimale en Écosse
L’alcool est l’une des principales causes de décès prématuré et de problèmes de santé en Écosse. Selon Public Health Scotland, environ 23 personnes meurent chaque semaine des suites de la consommation d’alcool. L’alcool nuit également à la population de diverses manières, les personnes vivant dans les quartiers les plus déshérités étant 5 fois plus susceptibles de décéder suite à la consommation d’alcool que celles vivant dans les quartiers les plus nantis.
Liée à d’autres mesures politiques, la législation sur (la tarification minimale de) l’alcool (Écosse) 2012 vise à remédier à cette situation. Elle constitue en effet le cadre juridique nécessaire pour fixer le prix de vente des produits alcoolisés dans les débits de boissons à pas moins de 0,5 GBP l’unité (10 ml ou 8 g d’alcool pur).
Après une série de recours juridiques infructueux de la part des fabricants d’alcool, la politique a finalement été mise en œuvre le 1er mai 2018. La législation comporte une clause dite de caducité, qui exige que la politique de tarification unitaire minimale cesse 6 ans après sa mise en œuvre, à moins que le Parlement écossais ne vote en faveur de son maintien.
Désormais, et grâce à ce rapport qui dresse le bilan de 2 ans et demi d’application de ces mesures tarifaires, les parlementaires écossais disposent de preuves à la fois précises et solides des résultats positifs qu’elles ont pu engendrer. Outre la réduction du nombre de décès et d’hospitalisations mentionnée ci-dessus, la politique de tarification unitaire minimale a permis de réduire la consommation d’alcool en Écosse de 3 %. Les réductions les plus importantes des ventes concernent les produits dont le prix a le plus augmenté.
A-t-on observé des effets négatifs ?
L’évaluation n’a pas mis en évidence d’effets négatifs substantiels sur l’industrie des boissons alcoolisées ou de préjudices sociaux au niveau de la population. Cependant, la politique de tarification unitaire minimale s’est avérée peu efficace dans la réduction de la consommation chez les personnes dépendantes de l’alcool. Il est donc évident que ce sous-groupe doit faire l’objet d’une prise en charge rapide et fondée sur des données probantes, et qu’un plus large soutien doit aussi lui être apporté.
« Dans l’ensemble, les données montrent que la politique de tarification unitaire minimale a eu un impact positif sur l’amélioration des résultats sanitaires, y compris les inégalités de santé liées à l’alcool, et qu’elle peut jouer un rôle dans la lutte contre les méfaits évitables qui affectent beaucoup trop de personnes, de familles et de communautés », a expliqué Mme Clare Beeston, de Public Health Scotland, qui a dirigé l’évaluation de la politique.
Toutefois, a-t-elle ajouté, « cette politique ne suffit pas à répondre aux besoins spécifiques et complexes des personnes dépendantes de l’alcool, qui accordent souvent la priorité à l’alcool par rapport à d’autres besoins, et il est important de continuer à dispenser des services et un plus large soutien en vue de s’attaquer aux causes profondes de leur dépendance ».
Des données probantes pour encourager davantage de pays européens à adopter des politiques de tarification de l’alcool, en imposant notamment un prix unitaire minimum
Dans son rapport de 2022 intitulé « No place for cheap alcohol: the potential value of minimum pricing for protecting lives » [Pas de place pour l’alcool bon marché : la valeur potentielle de la tarification minimale pour protéger des vies], l’OMS/Europe explique que la tarification minimale peut être utilisée en combinaison avec d’autres politiques complémentaires, notamment la fiscalité, afin de réduire les méfaits de l’alcool et d’augmenter les recettes fiscales de l’État. La politique de tarification unitaire minimale doit être en outre considérée comme un complément à la taxation, et non comme une solution de rechange.
L’OMS/Europe a également appelé à la réalisation d’autres études factuelles et d’évaluation afin de comprendre les conséquences à long terme de cette politique. Les données du rapport officiel réalisé en Écosse viennent dans une large mesure s’ajouter aux éléments de preuve étayant l’adoption de la tarification unitaire minimale comme l’une des politiques permettant de réduire la consommation d’alcool et ses effets nocifs, et de s’attaquer aux inégalités de santé.
« Il est très encourageant de disposer de ces données solides prouvant l’efficacité de la politique écossaise en matière d’alcool, et de constater que plusieurs autres pays de la Région européenne de l’OMS suivent l’exemple de l’Écosse en mettant en œuvre ou en envisageant de mettre en œuvre une telle politique », a affirmé le docteur Carina Ferreira-Borges, conseillère régionale pour l’alcool, les drogues illicites et la santé en prison à l’OMS/Europe. « En s’inspirant de l’expérience écossaise, les pays peuvent s’efforcer d’instaurer des communautés plus sûres et d’améliorer les résultats en matière de santé publique pour tous, en ne laissant personne de côté en raison des méfaits de l’alcool. »
Concernant l’avenir, et prenant pour témoin le Cadre d’action européen en matière d’alcool 2022-2025 adopté à l’unanimité en 2022 par les 53 États membres, Mme Ferreira-Borges a souligné « qu’il n’y a pas lieu de se reposer sur ses lauriers ». « Pour conserver leur efficacité, les politiques de tarification doivent être liées à l’inflation, et un ajustement régulier s’impose pour que l’accessibilité financière de l’alcool n’augmente pas au fil du temps », a-t-elle conclu.