Monsieur Ahmed Robleh Abdilleh, Ministre de la
santé de Djibouti et Président de la Soixante‑Quinzième Assemblée mondiale de
la Santé, Excellences, Mesdames et Messieurs les Ministres et les chefs de
délégation, chers collègues et amis,
Hier, j’ai présenté mes observations sur le
thème de la santé pour la paix et de la paix pour la santé, dont les États
Membres discuteront lors du débat général. Je voudrais commencer aujourd’hui
par un regard en arrière, sur le chemin parcouru au cours des cinq dernières
années.
Vous m’avez élu il y a cinq petites années,
avec un programme ambitieux pour la couverture sanitaire universelle ; les
situations d’urgence sanitaire ; la santé de la femme, de l’enfant et de l’adolescent ;
les effets des changements climatiques et environnementaux sur la santé ;
et une OMS transformée. Ces priorités ont évolué vers le treizième programme
général de travail et les cibles du « triple milliard », que l’Assemblée
de la Santé a adoptés en 2018.
Le rapport sur les résultats de l’OMS pour
2020-2021 présente de manière détaillée et interactive notre travail consacré à
chacune des cibles du « triple milliard » au cours des deux dernières
années. Je vous en recommande la lecture. Mais je veux aussi réfléchir à tout
ce que nous avons accompli ensemble au cours des cinq dernières années.
Mesurer les progrès réalisés n’est pas
toujours aisé ni rapide. Mais de manière modeste ou importante, visible ou non,
je suis fier de dire que cette Organisation fait la différence.
Permettez-moi de commencer par les efforts que
nous avons déployés pour qu’un milliard de personnes bénéficient d’une
meilleure santé et d’un plus grand bien-être. Selon nos prévisions, nous
atteindrons quasiment cette cible d’ici à 2023, mais ces progrès ne représentent
qu’un quart environ de ce qui est nécessaire pour atteindre les cibles fixées
dans les objectifs de développement durable.
Il y a cependant des tendances encourageantes
et des succès à célébrer. En s’attaquant aux facteurs de risque des maladies
non transmissibles, de nombreux pays font des progrès, notamment en réduisant l’utilisation
de produits nocifs pour la santé.
Le tabagisme continue de reculer. Depuis 2018,
le nombre de pays en voie d’atteindre la cible d’une réduction de 30 % de
la consommation de tabac entre 2010 et 2025 a presque doublé, passant de 32
à 60 pays.
Nous constatons également des progrès
encourageants vers notre objectif d’éliminer les acides gras trans produits
industriellement de l’alimentation mondiale d’ici à 2023. Depuis que nous avons
lancé notre initiative REPLACE en 2018, des politiques contraignantes
interdisant l’utilisation d’acides gras trans produits industriellement ont été
introduites dans 58 pays, représentant 40 % de la population mondiale.
Et au cours des cinq dernières années, plus
des deux tiers des États Membres ont introduit ou augmenté les droits d’accise
sur au moins un produit nocif pour la santé, tel que le tabac, l’alcool ou les
boissons sucrées.
Dans le même temps, l’OMS a aidé les pays à
créer un environnement et des conditions de vie propices à la santé. Lors de la
26e Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies
sur les changements climatiques (COP26) l’année dernière, plus de 50 pays ont
convenu de prendre des mesures concrètes pour construire des systèmes de santé
résilients face aux changements climatiques et à faibles émissions de carbone.
Nous avons publié de nouvelles lignes directrices sur la pollution
atmosphérique, établissant de nouvelles limites pour la qualité de l’air
fondées sur des données de plus en plus nombreuses attestant des effets nocifs
pour la santé de la pollution atmosphérique à des concentrations encore plus
faibles qu’on ne le pensait auparavant.
Soixante et onze pays utilisent désormais les
outils ou les lignes directrices de l’OMS sur la réponse sanitaire à la
violence à l’égard des femmes. Le nombre de décès dus aux accidents de la route
s’est stabilisé, malgré une augmentation continue du nombre de voitures. Et le
Réseau mondial des villes et des communautés amies des aînés a été étendu,
aidant plus de 1300 villes dans 52 pays à devenir des lieux où l’on peut mieux
vivre et vieillir.
Passons maintenant aux efforts que nous avons
déployés pour qu’un milliard de personnes supplémentaires bénéficient de la
couverture sanitaire universelle d’ici à 2023.
Nous sommes très en retard, et les progrès
réalisés représentent moins d’un quart de ce qui est nécessaire pour atteindre
la cible du milliard. Avant même la pandémie, nous estimions que seules 270 millions
de personnes supplémentaires seraient couvertes d’ici à 2023 – un déficit de
730 millions de personnes par rapport à la cible d’un milliard. Les
perturbations des services de santé pendant la pandémie nous ont fait reculer,
et nous estimons que le déficit pourrait atteindre 840 millions.
Néanmoins, nous pouvons être fiers des
nombreux résultats obtenus au cours des cinq dernières années dans le cadre de
notre action visant à renforcer les systèmes de santé et à lutter contre les
maladies transmissibles et non transmissibles.
Sur le plan politique, deux engagements
majeurs ont été pris : la Déclaration d’Astana sur les soins de santé
primaires en 2018 et la Déclaration politique issue de la réunion de haut
niveau sur la couverture sanitaire universelle à l’Assemblée générale des
Nations Unies en 2019.
Le Programme spécial de l’OMS sur les soins de
santé primaires apporte désormais son appui à 115 pays, contre 30 il y a
cinq ans. Depuis 2015, 95 % de ces pays ont progressé vers une meilleure
couverture des services.
Nous avons également constaté des tendances
encourageantes dans notre travail visant à renforcer les personnels de santé
dans le monde. Entre 2013 et 2020, le nombre d’agents de santé a augmenté de 29 %
à l’échelle mondiale. Auparavant, nous prévoyions une pénurie mondiale de 18 millions
d’agents de santé d’ici à 2030. Elle est maintenant réduite à 15 millions, mais
il s’agit toujours d’une pénurie massive.
Au cours des cinq dernières années, nous avons
également réalisé des progrès importants dans l’amélioration de l’accès aux
médicaments et autres produits de santé essentiels. Nous avons préqualifié 53 vaccins,
50 produits de diagnostic in vitro et 288 médicaments, y compris de
nouveaux traitements importants contre le VIH, l’hépatite, la tuberculose, le
paludisme, les maladies tropicales négligées et la COVID-19. Nous avons
également préqualifié deux médicaments biosimilaires contre le cancer et lancé
un programme pilote pour préqualifier l’insuline humaine, afin de rendre ces
traitements vitaux mais coûteux plus abordables et accessibles.
Pendant la pandémie, nous avons octroyé une
autorisation d’utilisation d’urgence pour 12 vaccins contre la COVID-19 et 28 produits
de diagnostic in vitro. Dans les 15 jours suivant l’autorisation d’utilisation
d’urgence des vaccins, 101 pays ont émis leur propre autorisation
réglementaire, illustrant le poids que ces pays accordent à l’aval donné par l’OMS.
Nous avons évalué les systèmes de
réglementation dans 80 pays et accompagné 10 nouveaux pays dans l’obtention de
niveaux réglementaires plus élevés, dont quatre en Afrique : l’Égypte, le
Ghana, le Nigéria et la Tanzanie.
Sachant que près de 90 % des États
Membres font état du recours à la médecine traditionnelle, nous avons créé le mois
dernier en Inde le Centre mondial pour la médecine traditionnelle, afin de
créer un corpus fiable d’éléments probants et de données sur les pratiques et
les produits utilisés par des millions de personnes.
En ce qui concerne les maladies transmissibles,
les lignes directrices de l’OMS ont permis des progrès importants en matière de
dépistage et de traitement de l’infection à VIH, ce qui s’est traduit par une
baisse de 32 % de la mortalité due au VIH depuis 2016. Nous avons validé l’élimination
de la transmission mère-enfant du VIH et/ou de la syphilis dans 15 pays.
La cible des objectifs de développement
durable relative à l’hépatite B a été atteinte et, depuis 2015, le nombre de
personnes ayant reçu un traitement contre l’hépatite C a été multiplié par neuf
pour atteindre 9,4 millions, ce qui a permis d’inverser pour la première
fois la tendance à l’augmentation de la mortalité.
Pour ce qui est de la tuberculose,
33 pays ont atteint depuis 2015 l’objectif de réduction de 35 % des
décès dus à la tuberculose, et la réduction de l’incidence a atteint 20 %
dans 86 pays. Depuis 2012, neuf pays supplémentaires ont été certifiés
exempts de paludisme et les cas dans le bassin du Mékong ont chuté de près de
90 %.
En outre, pour la première fois, nous
disposons d’un vaccin contre le paludisme. Plus d’un million d’enfants du
Ghana, du Kenya et du Malawi ont maintenant reçu au moins une dose. L’utilisation
généralisée de ce vaccin, conformément à la recommandation formulée par l’OMS l’an
dernier, pourrait sauver chaque année des dizaines de milliers d’enfants, en
particulier en Afrique.
Au cours des cinq dernières années,
14 pays et territoires supplémentaires ont éliminé au moins une maladie
tropicale négligée. Les cas de trypanosomiase africaine ont chuté de 90 %
en 10 ans. Seuls 15 cas de dracunculose ont été signalés l’an
dernier, contre 3,5 millions au milieu des années 1980. Le nombre de
cas signalés depuis le début de cette année est de deux seulement.
Nous touchons du doigt notre rêve d’un monde
sans poliomyélite, avec quatre cas de poliovirus sauvage signalés depuis le
début de l’année en Afghanistan et au Pakistan – bien que les deux nouveaux cas
détectés au Malawi et au Mozambique constituent un revers.
Depuis 2017, l’OMS et ses partenaires de l’Initiative
mondiale pour l’éradication de la poliomyélite ont fourni gratuitement
1,4 milliard de doses de vaccin antipoliomyélitique aux États Membres. Nos
investissements dans la poliomyélite ne disparaîtront pas lorsque la
poliomyélite aura été éradiquée. L’infrastructure et le savoir-faire que nous
avons accumulés sont déjà mis à profit pour la fourniture d’autres vaccins et
la prestation d’autres services de santé, y compris dans le cadre de la
pandémie de COVID-19.
Et puis nous avons fait des progrès significatifs
en matière de lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Un leadership
politique de haut niveau est essentiel pour faire face à la menace de la
résistance aux antimicrobiens. Voilà pourquoi nous avons créé le Groupe de
direction mondial sur la résistance aux antimicrobiens, présidé par Mme
Mia Mottley, Première Ministre de la Barbade, et Mme Sheikh Hasina,
Première Ministre du Bangladesh.
Grâce au Système mondial de surveillance de la
résistance aux antimicrobiens et de l’usage des antimicrobiens (GLASS) de l’OMS,
trois fois plus de pays recueillent et partagent des données sur la résistance
aux antimicrobiens, et le nombre d’échantillons collectés et analysés à l’échelle
mondiale a été multiplié par six.
Un Fonds multipartenaires contre la résistance
aux antimicrobiens a été créé ; il accompagne maintenant 11 pays dans
la mise en œuvre de leurs plans d’action nationaux. De plus, en 2020, le Fonds
d’action contre la résistance aux antimicrobiens a été mis sur pied dans le but
de surmonter les obstacles d’ordre financier empêchant la mise au point d’antibiotiques.
Cette année, il a réalisé ses premiers investissements visant à mettre au point
deux médicaments antibactériens.
Pour ce qui est des maladies non
transmissibles, ces cinq dernières années, l’OMS a aidé 36 pays à intégrer
des services de prévention, de détection et de traitement des maladies non
transmissibles dans les programmes de soins de santé primaires, et a apporté
son soutien à 25 pays dans le domaine des services de réadaptation.
Plus de trois millions de personnes dans
18 pays ont maintenant accès à un traitement contre l’hypertension grâce à
l’utilisation croissante de l’ensemble d’interventions HEARTS de l’OMS. Plus de
30 pays ont élaboré des politiques ou des programmes visant à améliorer l’accès
à la prise en charge du cancer chez l’enfant. Nous avons aidé plus de
40 pays à introduire pour la première fois un vaccin contre le
papillomavirus humain (PVH) dans le cadre de l’initiative pour l’élimination du
cancer du col de l’utérus. En outre, nous avons apporté à 31 pays
supplémentaires un appui en vue de l’intégration des services de santé mentale
dans les soins de santé primaires. La survie de l’enfant s’est considérablement
améliorée ces 20 dernières années, mais il n’en reste pas moins que
54 pays ont pris du retard dans la réalisation des cibles des objectifs de
développement durable relatives à la survie de l’enfant.
Passons maintenant à nos travaux en matière de
situations d’urgence. Il ne fait aucun doute que le monde n’était pas prêt à
affronter une pandémie, et qu’il ne l’est toujours pas.
Tous les mois, l’OMS traite plus de
9 millions d’informations, passe en revue 43 000 signaux,
examine 4500 événements, et en vérifie en moyenne une trentaine. Au cours
des cinq dernières années, l’OMS est intervenue dans le cadre de plus de
120 situations d’urgence – cyclones, éruptions volcaniques, séismes,
épidémies, guerres – et a lutté contre une pandémie. Certaines de ces
situations d’urgence ne durent que quelques mois ; d’autres se prolongent
pendant des années. Au moment où nous parlons, mes collègues sont à pied d’œuvre
dans le cadre de 50 situations d’urgence dans le monde. Souvent, l’OMS est
la première à arriver et la dernière à partir.
Depuis 2017, en collaboration avec des
partenaires, nous avons expédié dans le monde entier des fournitures médicales
pour un montant supérieur à 1,6 milliard USD pour appuyer les chaînes d’approvisionnement
essentielles lors des urgences sanitaires. Les activités du pôle logistique de
l’OMS à Dubaï ont été multipliées par 10.
Grâce au Dispositif pour accélérer l’accès aux
outils de lutte contre la COVID-19 (Accélérateur ACT), l’OMS et ses partenaires
ont fourni plus de 1,5 milliard de doses de vaccin, ce qui a permis à
40 pays de commencer leurs campagnes de vaccination contre la
COVID-19 ; en outre, 159 millions de tests et des traitements pour un
montant de 222 millions USD ont également été distribués.
Pour la première fois, nous avons créé une
Division Préparation aux situations d’urgence, qui a aidé les pays à se
préparer à des milliers de rassemblements de masse, par exemple les Jeux
olympiques d’été et d’hiver, la COP26 et l’Expo de Dubaï.
Nous avons introduit l’examen universel de l’état
de santé et de préparation, qui a maintenant été testé avec succès dans quatre
États Membres : la République centrafricaine, l’Iraq, le Portugal et la
Thaïlande, avec le soutien de 21 autres États Membres.
Et pas plus tard que l’année dernière, nous
avons créé la Division Information, veille et systèmes de surveillance pour les
urgences sanitaires, laquelle a mis sur pied le Centre d’information de l’OMS
sur les pandémies et les épidémies, qui opère depuis Berlin. Ces nouvelles
activités s’appuieront sur nos travaux existants en exploitant les technologies
de pointe et les innovations en science des données, et en favorisant un
partage plus large des données et de l’information entre les pays grâce à une
approche de « veille collaborative ».
Le Secrétariat reste déterminé à apporter son
soutien à tous les États Membres sur les plans technique, opérationnel et
logistique afin de poursuivre la lutte contre cette pandémie et de se préparer
aux urgences sanitaires à venir.
Toutes ces réalisations, qui concernent l’ensemble
des cibles du triple milliard, ont bénéficié du soutien de la Division des
sciences et de la Division Données, analyse et résultologie, créées en 2019.
La Division des sciences a appuyé l’élaboration
de centaines de lignes directrices et d’autres produits normatifs. Pendant la
pandémie, l’OMS a introduit une approche fondée sur des « orientations
évolutives », qui a réduit le délai moyen de production des orientations
de pas moins de neuf mois à seulement cinq semaines. L’OMS a également mis en
place le programme de transfert de technologie sur les vaccins à ARNm en
Afrique du Sud pour aider les pays à renforcer leurs capacités de fabrication
au niveau local, en s’appuyant sur des technologies de pointe.
La Division Données, analyse et résultologie a
accompagné les pays afin qu’ils améliorent leurs systèmes de données grâce au
module technique SCORE de l’OMS et aux données consolidées du Centre mondial de
données sanitaires.
L’année dernière, nous avons donné le coup d’envoi
de l’Académie de l’OMS à Lyon. L’Académie propose déjà plusieurs cours de
formation, qui suscitent un vif intérêt. Par exemple, le programme de prise en
charge de victimes en grand nombre est proposé dans 14 pays et a déjà
bénéficié à plus d’une centaine d’hôpitaux.
Le Plan d’action mondial pour permettre à tous
de vivre en bonne santé et promouvoir le bien‑être de tous a permis de
renforcer la collaboration entre 13 organismes multilatéraux sur les soins
de santé primaires et d’autres domaines dans plus de 50 pays.
Toutes ces réalisations reposent sur la transformation
que nous avons conduite ensemble depuis cinq ans. Il y a eu de nombreux appels
à changer l’OMS. Et il ne fait aucun doute que de nouvelles évolutions sont
nécessaires. Mais notre Organisation a changé et continue à changer, ce dont
témoigne l’introduction du concept d’amélioration continue.
Nous avons élaboré une nouvelle stratégie, qui
donne la priorité aux résultats et non plus aux produits ; de nouveaux
processus pour nous rendre plus efficaces, efficients et agiles ; un
nouveau modèle opérationnel, passant d’une organisation fragmentée à une
organisation plus intégrée, alignée et agile ; une nouvelle approche des
partenariats, passant de l’aversion pour le risque à la gestion du
risque ; une nouvelle approche du financement, vers plus de durabilité et
de prévisibilité ; et une nouvelle culture, fondée sur des valeurs
communes de service, de professionnalisme, d’intégrité, de collaboration et de
compassion. La pandémie a mis notre transformation à l’épreuve. Elle a montré
la valeur des changements que nous avons apportés et les domaines dans lesquels
nous devons continuer à nous améliorer.
Nous avons encore du travail à faire pour
obtenir les résultats, l’efficacité, la responsabilisation et la transparence
que vous, États Membres, attendez – y compris en tant qu’Organisation qui ne
tolère en aucun cas l’exploitation, les abus et le harcèlement sexuels, ni l’inaction
à leur encontre.
Je présente régulièrement aux États Membres
des mises à jour complètes sur nos activités en matière de prévention de l’exploitation,
des abus et du harcèlement sexuels et des mesures destinées à y remédier, et un
rapport détaillé sur notre Plan de lutte de l’administration figure dans mon
rapport à cette Assemblée. Soyez assurés de mon engagement personnel total sur
cette question. Nous sommes en train de procéder à des changements de grande
envergure au sein de notre Organisation, dont vous entendrez parler plus en
détail dans mon rapport sur cette question plus tard dans la semaine.
Rétrospectivement, nous avons accompli tant de
choses ensemble au cours des cinq dernières années. Nous avons de nombreuses
raisons d’être fiers. Mais les défis restent nombreux. Nous devons donc
regarder le présent pour voir où nous en sommes aujourd’hui.
Comme je l’ai dit hier, la pandémie est loin d’être
terminée. Et alors même que nous continuons à la combattre, nous devons
rétablir les services de santé essentiels : 90 % des États Membres
continuent de signaler des perturbations dans un ou plusieurs d’entre eux.
La vaccination est l’un des plus fréquemment
cités. Le nombre d’enfants ne recevant aucune dose de vaccin DTC était resté
quasiment stable jusqu’en 2020, année où il a bondi de plus de 25 %, nous
ramenant au niveau de 2005.
Les progrès en matière de santé sexuelle et
reproductive, y compris la mortalité maternelle, restent lents. Une femme sur
trois subira des violences physiques ou sexuelles au cours de sa vie. L’hypertension
est responsable d’un tiers de l’ensemble des décès, mais seulement la moitié
des cas sont diagnostiqués et moins de la moitié d’entre eux sont traités. La
pandémie a entraîné une augmentation massive des cas de dépression (+28 %)
et des troubles anxieux (+26 %) dans le monde.
Les décès dus au paludisme ont augmenté depuis
2015 et ceux dus à la tuberculose ont progressé l’année dernière pour la
première fois en 10 ans. En 2020, le nombre de personnes recevant un traitement
pour une maladie tropicale négligée a chuté de 25 % en raison des
perturbations des services de santé causées par la pandémie.
Seuls 20 % des plans d’action nationaux
sur la résistance aux antimicrobiens sont entièrement financés, pour la plupart
dans les pays à revenu élevé. Depuis 2000, le nombre de personnes dans le monde
qui rencontrent des difficultés financières en raison des dépenses de santé à
leur charge s’est accru de 75 %, pour atteindre près de 2 milliards d’individus.
Les besoins de notre monde restent
considérables et complexes. Mais aucune de ces difficultés n’est insurmontable.
Pour chaque problème, il y a des solutions. Si l’on veut, on peut.
Alors, comment allons-nous utiliser ces
solutions pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés et accélérer
les progrès en vue des cibles du « triple milliard » et des objectifs
de développement durable ?
Nous avons regardé le passé pour voir d’où
nous partions ; nous avons regardé le présent pour voir où nous en sommes
aujourd’hui. Permettez-moi maintenant de regarder vers l’avenir, vers l’objectif
que je pense que nous devons atteindre au cours des cinq prochaines années.
Lors de la réunion du Bureau exécutif en
janvier – dont je remercie le Président, le Dr Patrick Amoth
– j’ai présenté mes cinq priorités pour les cinq prochaines années.
Depuis, le Secrétariat a précisé la manière
dont nous allons agir avec les États Membres pour concrétiser ces priorités,
que nous décrivons désormais comme suit :
Promouvoir la santé : en agissant sur les
causes premières des maladies et en créant les conditions de la santé et du
bien-être ;
Fournir des services de santé : en
réorientant les systèmes de santé vers les soins de santé primaires, fondement
de la couverture sanitaire universelle ;
Protéger la santé : en renforçant l’architecture
mondiale en matière de préparation, de riposte et de résilience face aux
urgences sanitaires ;
Démultiplier les progrès :en exploitant
les possibilités offertes par la science, l’innovation et la recherche, les
données et les technologies numériques ;
Et être efficace : en renforçant l’OMS
pour qu’elle produise des résultats et qu’elle soit mieux à même de jouer son
rôle directeur dans la santé mondiale.
Premièrement, promouvoir la santé. Pour
concrétiser notre vision et atteindre le meilleur état de santé possible, il
faut commencer non pas dans un centre de soins ou un hôpital, mais à l’école,
dans la rue, au supermarché, au sein du foyer, dans nos quartiers.
Une grande partie du travail que vous
accomplissez en tant que ministères de la santé consiste à traiter les
conséquences d’une mauvaise alimentation, de la pollution, de l’insécurité sur
les routes et sur le lieu de travail, du manque de connaissances en santé et de
la commercialisation agressive de produits nocifs pour la santé. Nous devons
négocier d’urgence un tournant majeur en faveur de la promotion de la santé et
du bien-être et de la prévention des maladies par une action sur leurs causes
premières.
Au niveau mondial, 3 % seulement des
budgets de la santé sont consacrés à la promotion et à la prévention. Pourtant,
un investissement accru dans ces domaines pourrait réduire de moitié la charge
de morbidité mondiale et engendrer des bénéfices considérables pour les
individus, les familles, les communautés et les nations. Nous appelons chaque
gouvernement à placer la santé de sa population au centre de ses plans de
développement et de croissance.
Au cours des cinq prochaines années, l’OMS s’engage
à apporter son soutien à tous les États Membres afin qu’ils conduisent les
transformations qui auront le plus grand impact, à savoir : décarboner le
secteur de la santé ; mettre en application les normes sur la qualité de l’air
; réduire la dépendance à l’automobile et promouvoir les transports publics ;
veiller à ce que tous les établissements de santé soient alimentés en
électricité et aient accès à l’eau potable et à l’assainissement ;
améliorer l’alimentation, la nutrition et la sécurité sanitaire des aliments
et, plus particulièrement, enrayer la progression de l’obésité dans 24 pays
très touchés par celle-ci, d’ici à 2025 ; et réduire la consommation de
produits mauvais pour la santé.
La deuxième priorité consiste à fournir des
services de santé en réorientant les systèmes de santé vers les soins de santé
primaires, fondement de la couverture sanitaire universelle.
Aujourd’hui, dans la plupart des pays, les
dépenses de santé sont déséquilibrées, car elles privilégient les soins
secondaires et tertiaires. Ainsi, des sommes considérables sont consacrées à du
matériel et des médicaments coûteux qui, souvent, ne produisent que des gains
de santé limités. Or, 90 % des services de santé essentiels peuvent être
assurés dans le cadre des soins de santé primaires et, d’après les estimations,
les investissements dans ceux-ci pourraient permettre de gagner non moins de
6,7 années d’espérance de vie d’ici à 2030.
Nous devons réorienter radicalement nos efforts
afin d’aller plus vite sur la voie de la couverture sanitaire universelle, et
renforcer par conséquent fortement les investissements consacrés aux soins de
santé primaires dans tous les pays, qu’ils soient à revenu élevé, intermédiaire
ou faible. Nous avons pu constater que, partout dans le monde, c’est bien à ce
niveau que se situent les faiblesses.
Nous appelons tous les États Membres à faire
en sorte que l’accès aux soins n’entraîne jamais de difficultés financières – c’est
là un point décisif. Le Secrétariat se propose ainsi, d’ici à 2025, d’apporter
un appui à 25 pays afin d’empêcher que ces difficultés ne continuent de s’accroître
sous l’effet des dépenses de santé directes.
La troisième priorité consiste à protéger la
santé en renforçant l’architecture mondiale en matière de préparation, de
riposte et de résilience face aux urgences sanitaires.
Afin de donner suite à la demande formulée par
le Conseil exécutif, et en concertation avec les États Membres, le Secrétariat
a préparé une proposition pour une architecture mondiale plus équitable,
inclusive et cohérente. Cette proposition s’appuie sur la synthèse de plus de
300 recommandations issues des différents examens de la riposte mondiale à la
pandémie. L’accord international que les États Membres sont en train de
négocier fournira un cadre général vital. C’est dans ce contexte que nous
formulons 10 recommandations dans trois domaines clés.
Tout d’abord, nous avons besoin d’une
gouvernance qui soit cohérente, inclusive et permette de rendre compte de l’action
menée. Deuxièmement, nous avons besoin de systèmes et d’outils plus solides
pour prévenir les urgences sanitaires, les détecter et y répondre rapidement.
Troisièmement, nous avons besoin d’un financement adéquat et efficient, aux
niveau national et international.
Pour rendre ces propositions possibles, nous
avons besoin d’une OMS plus forte, financée de façon plus durable, placée au
cœur de l’architecture sanitaire mondiale. J’y reviendrai dans quelques
instants. Le Secrétariat attend avec intérêt de connaître votre avis sur cette
proposition d’architecture et, ce qui est plus important encore, se félicite de
la mettre en place avec vous.
Notre quatrième priorité stratégique consiste
à démultiplier les progrès en exploitant les possibilités offertes par la
science, l’innovation et la recherche, les données et les technologies
numériques.
Les progrès des sciences et de la recherche ne
cessent de repousser les limites de l’inconnu et de l’impossible, d’améliorer
notre compréhension des choses et d’ouvrir des possibilités nouvelles. Les
innovations en matière de produits de santé et de prestations de services nous
donnent l’espoir de pouvoir, demain, relever des défis qui nous semblaient
autrefois insurmontables.
Les avancées des mégadonnées et de l’apprentissage
automatique nous aident à mieux comprendre qui sont les laissés-pour-compte et
là où les inégalités sont les plus criantes et à suivre les progrès vers nos
cibles. Les technologies numériques recèlent un immense potentiel pour fournir
des services de santé selon de nouvelles modalités, à davantage de personnes,
en particulier dans les régions les plus isolées.
Pour aller plus vite sur la voie des cibles du
triple milliard et des objectifs de développement durable, nous devons
accélérer aussi le rythme d’adoption et de mise en œuvre des avancées
scientifiques, des travaux de recherche, des innovations et des technologies
numériques.
L’équité joue un rôle central : le
progrès scientifiques et l’innovation ne sont jamais aussi remarquables que
lorsqu’ils bénéficient d’abord aux plus défavorisés. Cela ne saurait être
laissé au hasard, au bon vouloir de certains ou aux forces du marché. Pour les
cinq prochaines années, le Secrétariat se propose de mettre en application à
plus grande échelle au moins cinq innovations bénéficiant à au moins cinq
millions de personnes.
Notre cinquième priorité est d’être plus
efficace en renforçant l’OMS pour qu’elle produise des résultats et qu’elle
soit mieux à même de jouer son rôle directeur dans la santé mondiale.
La pandémie a montré pourquoi le monde a
besoin de l’OMS, mais aussi pourquoi il a besoin d’une OMS qui soit à la fois
plus solide, dotée de moyens renforcés et plus durablement financée. Nombre d’entre
vous l’ont dit mieux que moi, et je vous en remercie chaleureusement.
Je me félicite de la recommandation du Groupe
de travail sur le financement durable de porter les contributions fixées à
50 % du budget de base au cours des 10 prochaines années. Je tiens, à
cette occasion, à remercier Björn Kümmel pour son incroyable leadership, ainsi
que tous les membres du bureau du Groupe de travail et l’ensemble des États
Membres pour leur soutien.
Je me félicite également de la recommandation
tendant à envisager un modèle de reconstitution des ressources, à élargir notre
base de financement et à financer le budget programme de manière plus souple.
Ces recommandations pourraient transformer
radicalement l’Organisation. J’ai dit pendant des mois que c’était le moment ou
jamais de trouver une solution pour améliorer le financement de l’OMS. Si,
comme je l’espère, ces recommandations sont adoptées par cette Assemblée de la
Santé, vous aurez répondu à mon appel. Maintenant, vous avez fait un choix.
Je remercie tous les États Membres de leur
engagement au cours de l’année écoulée et de leur participation aux
négociations. Cela a été difficile, mais vous y êtes parvenus. Nous savons que
plus de confiance rime avec plus de responsabilité.
Le Secrétariat se félicite de la
recommandation du Groupe de travail tendant à renforcer encore la gouvernance,
la transparence, la redevabilité, l’efficacité et la conformité, et nous nous
réjouissons à la perspective de travailler avec l’équipe spéciale des États
Membres pour faire avancer les choses. Nous travaillerons jour et nuit pour
résoudre ces problèmes.
L’une des principales priorités pour les cinq
prochaines années est de renforcer davantage notre action dans les bureaux de
pays. Je vous assure que tous les chemins mèneront aux pays, dont les priorités
nous guideront.
Monsieur le Président, Excellences, chers
collègues et amis,
Nous avons pris du recul, pour savoir où nous
en étions. Nous avons étudié la situation actuelle, pour savoir où nous en
sommes. Et nous avons anticipé, pour savoir où nous devons aller.
Maintenant, je vous invite à lever les yeux.
Comment allons-nous surmonter les nombreux défis auxquels nous sommes
confrontés et atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés ? Grâce à
des données de bonne qualité, à une bonne planification, à des principes
scientifiques solides et à un engagement politique ferme. Mais plus que tout,
il faut avoir de l’espoir – il faut croire que les choses peuvent s’améliorer.
Comme l’a dit hier le Président de la Croatie,
Zoran Milanović, le Président de la toute première Assemblée mondiale de
la Santé, qui a eu lieu en 1948, le Dr Andrija Štampar, était
Croate. Le Dr Štampar était un visionnaire et fut l’un des
rédacteurs de la Constitution de l’OMS, y compris de son préambule intemporel.
Dans son discours à la Première Assemblée de la Santé il y a 74 ans, le Dr Štampar
a déclaré ceci :
« Il est
évident que nous ne pouvons pas aborder la solution des problèmes sanitaires de
la même manière dans tous les pays. Chaque pays a ses particularités, et ce qui
est bon pour l’un peut ne pas l’être autant pour l’autre. Mais il y a une
vérité fondamentale qui vaut pour tous : c’est que la santé est un des
droits essentiels de l’individu. »
C’est ce droit à la santé que cette
Organisation défend depuis trois quarts de siècle. Et c’est pour lui que nous
continuerons à nous battre, que je continuerai personnellement à me battre, car
la santé est un droit humain fondamental. C’est une fin en soi, et un moyen de
développement.
Merci beaucoup. J’ai hâte de travailler avec
vous. Merci de votre confiance et de votre soutien.