Bulletins d'information sur les flambées épidémiques

Disease outbreak news - République démocratique du Congo

23 juillet 2020

Aperçu de la situation

Une recrudescence des cas de peste est constatée depuis juin 2020 dans la zone de santé de Rethy, dans la province de l’Ituri, en République démocratique du Congo.

Description de la situation

Une recrudescence des cas de peste est constatée depuis juin 2020 dans la zone de santé de Rethy, dans la province de l’Ituri, en République démocratique du Congo. Le premier cas, une fillette de 12 ans, a été vu dans un centre de santé local le 12 juin et présentaient des céphalées, de la fièvre, une toux et un bubon (ganglion lymphatique gonflé). Elle est morte le jour même et d’autres décès ont été signalés ultérieurement dans la communauté parmi des cas de peste présumés.

Du 11 juin au 15 juillet, six des 22 aires de santé ont été touchées dans la zone de santé de Rethy (11 villages) et 45 cas, dont neuf mortels (taux de létalité : 20 %), ont été dénombrés au total. Les neuf (9) qui sont décédés présentaient tous des céphalées, une forte fièvre et des bubons douloureux : quatre (4) des neuf (9) cas présentaient une toux.

L’équipe de la zone de santé a fait des recherches qui ont abouti à cinq résultats positifs au test de diagnostic rapide (TDR). Neuf échantillons supplémentaires ont été recueillis et expédiés au laboratoire de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) à Kinshasa. Sur les 45 cas signalés, deux présentaient des signes de peste septicémique ; la peste bubonique a été diagnostiquée chez tous les autres cas. D’après les informations disponibles, il est probable que les trois formes cliniques de la peste (bubonique, septicémique et pulmonaire) soient présentes.

Concernant la répartition par sexe, 58 % des sujets (26/45) sont de sexe masculin, et 93 % (42/45) ont plus de cinq ans. Sur les 45 cas signalés, neuf, dont quatre cas mortels, présentaient une toux parmi les symptômes, signe d’une possible évolution de la peste bubonique en peste pulmonaire. La toux était surtout présente chez les malades qui sont ensuite décédés.

La peste est endémique dans la province de l’Ituri. Depuis le début de 2020, la province a signalé au total 64 cas de peste et 14 décès (taux de létalité : 21,8 %) dans cinq zones de santé, Aungba, Linga, Rethy, Aru et Kambala. Durant de la même période en 2019, 10 cas et cinq décès (taux de létalité : 50,0 %) avaient été enregistrés, tous dans la même zone.

L’épidémie de COVID-19 qui sévit actuellement touche sept des 26 provinces du pays. Des cas de COVID-19 ont été signalés dans l’Ituri,1 avec pour risque l’interruption des activités de riposte en raison du confinement. Ce problème vient s’ajouter aux difficultés de longue date auxquelles se heurte l’action de santé publique dans la région, notamment le manque de ressources et l’insécurité. Même s’il a été rapporté que la pandémie de COVID-19 n’avait pas d’incidence notable sur les activités menées dans cette région, les informations sont limitées sur l’accès aux soins de santé à l’heure actuelle. On sait peu de choses notamment sur la nécessité ou non pour la population de l’Ituri de se faire soigner en Ouganda et sur la disponibilité des ressources humaines, des médicaments et des équipements de protection individuelle (EPI). En outre, le laboratoire de référence de Bunia, dans la province de l’Ituri, ne fonctionne pas actuellement, ce qui peut retarder la confirmation des cas présumés et les mesures de riposte.

Action de santé publique

  • Une équipe nationale d’intervention rapide a été dépêchée dans la zone de santé touchée pour enquêter sur la flambée et mettre en place des mesures initiales.
  • L’UNICEF est sur le terrain à cause de la situation humanitaire à Bunia, où il axe ses efforts sur la mobilisation communautaire et les pratiques d’inhumation digne et sécurisée.
  • Les lignes directrices de l’OMS pour la peste, y compris les définitions de cas, ont été diffusées aux établissements de santé pour améliorer la détection des cas.
  • L’OMS fournit un appui dans les zones où la peste est endémique en matière de surveillance, de recherche des cas et de formation des agents de santé et des relais communautaires à la prévention, à la détection précoce et à la prise en charge des cas de peste.
  • Un traitement prophylactique de doxycycline a été administré aux contacts répertoriés.
  • Dans certains villages, de la deltaméthrine a été pulvérisée à l’intérieur des habitations.
  • L’équipe sanitaire de district a procédé à des inhumations dignes et sécurisées.
  • Les habitants des villages touchés ont été sensibilisés aux mesures de prévention de la peste par la radio locale.

Évaluation du risque par l’OMS

La peste peut être très grave chez l’être humain, avec un taux de mortalité élevé, surtout si elle n’est pas détectée tôt. Elle peut prendre trois formes : bubonique, septicémique et pulmonaire. En l’absence de traitement, la peste bubonique peut évoluer en peste pulmonaire. Un diagnostic et un traitement précoces sont indispensables pour la survie des malades et pour limiter les complications.

La peste est endémique dans la zone de santé de Rethy et des cas d’infection par des variants enzootiques de Yersinia pestis y sont régulièrement constatés dans une grande partie de la population sauvage de rongeurs. La première flambée a été signalée en février 2020. Il s’agissait de cas importés de la zone de santé de Linga, située dans l’aire de santé de Godjoka.

Sur le plan de la sécurité, il est fait état d’atrocités et de violences imputées à la milice CODECO qui continue d’assaillir la population de ce territoire (Djugu et ses environs). Des déplacements de population ont eu lieu en masse dans les territoires de Djugu et de Mahagi. Pour le moment, la zone de santé de Rethy a accueilli quelque 112 714 personnes déplacées, dont la plupart viennent des zones de santé de Jiba et de Linga. L’insécurité croissante perturbe la circulation entre les villages et dissuade la population de rester ou de travailler dans cette zone. Par ailleurs, les conditions concernant l’eau, l’hygiène et l’assainissement se sont détériorées dans les zones d’accueil et sur les sites où se trouvent des personnes déplacées.

Le fait que les agents de santé aient repéré et signalé rapidement la flambée actuelle montre que le système de surveillance en place fonctionne. Dans la province de l’Ituri, il y avait un laboratoire de référence à Bunia, mais il ne fonctionne plus. Le laboratoire de l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) à Kinshasa a les moyens de faire des tests de dépistage pour les cas présumés. Néanmoins, des retards dans l’expédition des échantillons de Rethy à Bunia, puis à Kinshasa, et dans les analyses effectuées par l’INRB de Kinshasa en raison de la charge de travail supplémentaire que représente le dépistage de la COVID-19, risquent de compromettre la surveillance et la riposte. Des efforts continus sont nécessaires pour parvenir à déceler sans retard d’autres cas éventuels, les isoler et faire les recherches voulues afin d’éviter qu’une transmission locale ne s’établisse.

Le risque au niveau national est considéré comme modéré compte tenu : du risque que la situation actuelle ne se détériore rapidement (taux de létalité : 20 %) ; de la notification de cas de peste pulmonaire ; des difficultés rencontrées dans le système de surveillance et des retards entre le recueil des échantillons et la confirmation en laboratoire ; de l’instabilité de la situation sur le plan de la sécurité ; et de l’existence d’autres épidémies dans le pays qui empêchent de mettre en place une réponse plus complète. De plus, actuellement, il n’y a pas assez d’EPI, de housses mortuaires et de matériel de décontamination dans la zone de santé. Malteser Internation, une ONG qui approvisionne la zone en médicaments, a eu du mal à acheminer les produits à cause des problèmes d’insécurité sur la route RN27.

Les principes de la lutte contre la maladie sont connus et ont été appliqués (traitement précoce au moyen des antibiotiques recommandés, isolement des cas de peste pulmonaire, administration d’une chimioprophylaxie aux contacts proches de ces derniers, lutte contre les rongeurs et les puces, inhumations dignes et sécurisées et prévention de la transmission nosocomiale), mais les moyens sont limités et le système de santé est incapable d’assurer la prise en charge la plus appropriée. Les antibiotiques utilisés pour le traitement des cas sont la doxycycline, la ciprofloxacine et le cotrimoxazole. De la gentamycine a été administrée contre les formes pulmonaire et septicémique. L’absence de confirmation en laboratoire est préoccupante mais l’utilisation de tests de diagnostic rapide (TDR) sur le terrain garantit un nombre minimal de confirmations des cas présumés. Les TDR sont particulièrement fiables pour confirmer les formes présumées de peste bubonique.

Le risque au niveau régional est considéré comme faible car l’épidémie semble être circonscrite dans la zone de santé de Rethy, qui est une région isolée. Le risque est considéré comme faible à l’échelle mondiale.

Conseils de l’OMS

La forme la plus courante de la peste est la peste bubonique, qui est due à la piqûre d’une puce infectée. Le bacille de la peste, Y. pestis, pénètre dans l’organisme lors de la piqûre, passe dans le système lymphatique et atteint le ganglion le plus proche, où il se réplique. Au stade avancé de l’infection, les ganglions enflammés finissent par s’ulcérer et suppurer. Il n’y a pas de transmission interhumaine de la peste bubonique.

Si elle n’est pas traitée, la peste bubonique peut progresser et se propager aux poumons ; on parle alors de peste pulmonaire, qui la forme la plus virulente. La durée d’incubation peut n’être que de 24 heures. Une personne atteinte de peste pulmonaire peut transmettre la maladie à d’autres par des gouttelettes respiratoires. Si elle n’est pas diagnostiquée et traitée de bonne heure, cette forme est presque toujours mortelle. Toutefois, les chances de guérison sont élevés si elle est détectée et traitée à temps (dans les 24 heures suivant l’apparition des symptômes).

Un diagnostic et un traitement précoces sont indispensables pour la survie des malades et pour limiter les complications. Les échantillons utilisés aux fins de diagnostic sont les hémocultures, les ponctions de ganglions lymphatiques si possible et/ou les expectorations, si elles sont indiquées. L’antibiothérapie doit être mise en route le plus tôt possible après le prélèvement des échantillons. La prophylaxie post-exposition est indiquée pour les personnes dont on sait qu’elles ont été exposées à la peste, comme les contacts proches d’un cas de peste pulmonaire ou les personnes qui ont été en contact direct avec des liquides corporels ou des tissus infectés. La durée de la prophylaxie post-exposition pour prévenir la peste est de sept jours.

Les mesures de prévention consistent à informer les gens de la présence de la peste zoonosique dans l’environnement, à leur conseiller de prendre des précautions contre les piqûres de puces et de ne pas manipuler des carcasses d’animaux. Il faut également conseiller aux gens, et aux agents de santé en particulier, d’éviter tout contact direct avec des tissus infectés comme les bubons et tout contact proche avec des malades souffrant de peste pulmonaire.

Mesures de lutte recommandées pour toutes les formes de peste :

  • Obtenir des échantillons, qui doivent être recueillis avec soin en appliquant les mesures appropriées de lutte anti-infectieuse et envoyés au laboratoire pour analyse. La confirmation de la peste nécessite des analyses de laboratoire. La meilleure méthode consiste à identifier Y. pestis dans un échantillon de pus provenant d’un bubon, dans le sang ou dans les expectorations. Différentes techniques permettent de détecter un antigène spécifique du bacille.
  • Administrer le traitement qui convient : il est crucial de traiter l’infection sans retard avec les bons médicaments pour éviter les complications. Vérifier que l’antibiothérapie adéquate est administrée aux patients, par exemple aminoglycosides, fluoroquinolones, chloramphénicol, tétracyclines, sulfamides et traitement de soutien. Il peut être nécessaire d’ajuster le traitement antibiotique en fonction de l’âge du patient, de ses antécédents médicaux, des pathologies dont il souffre déjà ou de ses allergies. La durée du traitement est de 10 à 14 jours, ou doit se poursuivre 2 jours après la disparition de la fièvre.
  • Protéger les agents de santé : les informer et les former en matière de lutte anti-infectieuse. Ceux qui sont en contact direct avec des malades atteints de peste pulmonaire doivent porter un équipement de protection individuelle complet et suivre les précautions standard pour les maladies respiratoires. Selon les circonstances, ils peuvent aussi prendre une chimioprophylaxie antibiotique comme la doxycycline pendant sept jours ou au moins tant que dure l’exposition aux patients infectés. La chimioprophylaxie ne remplace pas cependant l’utilisation d’un EPI et le respect des précautions physiques individuelles.
  • Isoler les patients ayant une peste pulmonaire. Il convient d’isoler les cas confirmés ou présumés de peste pulmonaire pour éviter que d’autres ne soient infectés par des gouttelettes en suspension dans l’air. Fournir des masques aux patients atteints de peste pulmonaire
  • Suivre les contacts : identifier, informer et suivre de près les proches contacts des malades de la peste pulmonaire et leur fournir une chimioprophylaxie de sept jours.
  • Veiller à ce que les inhumations soient sécurisées. Il convient d’observer les mesures optimales de lutte anti-infectieuse lors des cérémonies funéraires et des enterrements. Les cérémonies funéraires supposant un rassemblement de personnes dans le logement des victimes de la peste sont à déconseiller.
  • Pour réagir avec efficacité et efficience aux flambées de peste, il est essentiel que les personnels de santé (et les communautés) soient informés et vigilants afin de diagnostiquer rapidement l’infection et de prendre en charge les malades sans tarder, de repérer les facteurs de risque, d’exercer une surveillance continue, de lutter contre les vecteurs et les hôtes, de confirmer le diagnostic par des analyses de laboratoire et de communiquer les résultats de ces tests aux autorités compétentes.

1Au 16 juillet 2020, on recensait en République démocratique du Congo 8162 cas confirmés de COVID-19, dont 191 cas mortels.

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