En avril 2016, l’OMS a déclaré que la Région européenne avait franchi un tournant important: les 53 pays de la Région avaient interrompu pendant au moins un an les chaînes de transmission du paludisme autochtone.
Les pays qui, pendant au moins trois années consécutives, n’ont aucun cas de paludisme contracté localement, remplissent les conditions pour demander à l’OMS la certification de l’élimination de cette maladie. Ce processus est volontaire et ne peut être entrepris qu’à partir du moment où un pays a présenté une demande officielle à l’OMS; il implique des évaluations sur le terrain de la part de consultants indépendants et plusieurs sessions d’examens par des experts.
Aujourd’hui, la République du Kirghizistan a reçu de l’OMS la certification officielle de l’élimination du paludisme. Au total 32 pays et territoires dans le monde ont reçu cette certification dont 19 dans la Région européenne.
Le cas du Kirghizistan
Le paludisme a été éliminé au Kirghizistan en 1961 au moyen de campagnes à grande échelle. Mais après avoir maintenu le statut de pays exempt de paludisme pendant plus de 25 ans, le Kirghizistan a notifié plusieurs cas importés de la maladie, provenant principalement d’Afghanistan. En 1986, la transmission locale du paludisme s’était de nouveau installée.
Au début des années 1990, le Kirghizistan est devenu indépendant de l’Union soviétique et l’ouverture des frontières a facilité la libre circulation des personnes, y compris de visiteurs en provenance de pays d’endémie palustre. Un effondrement économique a entraîné des coupes dans le financement du système de santé national. La faiblesse de la surveillance du paludisme et une pénurie aiguë de médicaments antipaludiques et d’insecticides ont créé des conditions favorables à la transmission.
En 2002, le Kirghizistan a été confronté à une épidémie majeure de paludisme suite à l’afflux massif de travailleurs kirghizes revenant de pays limitrophes où le paludisme était endémique. Plus de 2700 cas de paludisme à P. vivax ont été signalés cette année-là seulement. (Figure 1)
Stratégies mises en œuvre
Le Ministère de la santé du Kirghizistan a mené un effort ciblé pour juguler l’épidémie, avec l’appui technique et financier de l’OMS, d’USAID (l’Agence des États Unis pour le développement international), du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme, de l’Agence d’aide à la coopération technique et au développement (ACTED), de Medical Emergency Relief International (MERLIN) et d’autres partenaires du développement.
En 2003, le pays avait réussi à obtenir une forte baisse du nombre des cas de paludisme et l’épidémie avait été rapidement endiguée au moyen d’un certain nombre d’interventions antipaludiques. Les systèmes de surveillance nationale pour la détection des cas et les investigations avaient été renforcés. Les cas confirmés étaient traités rapidement, ce qui évitait la transmission ultérieure de la maladie.
Les mesures essentielles de lutte antivectorielle, comme les pulvérisations intradomiciliaires d’insecticides à effet rémanent ou l’emploi de larvicides, notamment dans les rizières, ont été étendues. L’engagement des communautés dans la lutte antipaludique et la prévention ont contribué à ce succès, de même que l’amélioration de la collaboration intersectorielle et transfrontalière.
En 2010, le Kirghizistan n’a notifié que 3 cas seulement contractés localement et, en 2011, zéro cas autochtone. Ce pays a entrepris le processus de certification de l’élimination du paludisme en 2013.
Les autorités du Kirghizistan ont mis en place un plan d’action complet et suffisamment financé pour se prémunir d’une éventuelle réintroduction de la transmission palustre jusqu’en 2018 et au-delà.
Élimination du paludisme en Europe
En 1975, on considérait que la Région européenne de l’OMS était exempte de paludisme. Dans les années 1980 et au début des années 1990, la transmission s’est de nouveau implantée dans le Caucase, dans les républiques d’Asie centrale et, dans une moindre mesure, en Fédération de Russie. La Turquie a observé une hausse particulièrement forte du nombre des cas de paludisme dans les années 1990 suite à l’afflux de réfugiés iraquiens pendant la première guerre du Golfe; en 1994, ce pays a notifié un pic de 84 000 cas.
En 2000, les efforts de lutte avaient réussi à faire beaucoup baisser la charge du paludisme dans la Région européenne et, en 2005, seulement 5000 cas ont été notifiés à l’échelle régionale; le but de l’élimination du paludisme était atteignable. Dix ans plus tard, la Région européenne était la première à notifier zéro cas autochtone de paludisme.
La Région européenne reste exposée au risque d’importation de cas de paludisme, notamment le long de la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan. Le maintien à zéro cas supposera une volonté politique durable et une vigilance constante. Tout nouveau cas doit être identifié et traité rapidement. Il faut renforcer les systèmes de santé et de surveillance pour veiller à ce que toute résurgence soit rapidement contenue.
Cibles mondiales de l’élimination
À l’Assemblée générale des Nations Unies en septembre 2015, les dirigeants du monde ont adopté à l’unanimité les objectifs de développement durable (ODD), un nouveau cadre de développement mondial sur 15 ans. « Mettre fin au paludisme » d’ici 2030 est l’une des cibles de l’ODD 3; l’OMS l’interprète comme la réalisation des buts de la Stratégie technique mondiale de lutte contre le paludisme 2016 2030.
Cette stratégie, approuvée par l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2015, fixe des buts mondiaux ambitieux et atteignables pour la lutte contre le paludisme et l’élimination, notamment:
- réduire l’incidence des cas de paludisme d’au moins 90 % d’ici 2030;
- réduire les taux de mortalité par paludisme d’au moins 90 % d’ici 2030;
- éliminer le paludisme dans au moins 35 pays d’ici 2030;
- éviter une résurgence du paludisme dans tous les pays qui en sont exempts.
La Stratégie a résulté d’un processus de consultation approfondi sur 2 ans auquel ont participé plus de 400 experts techniques de 70 États Membres.