Une proportion considérable des médicaments destinés aux soins de santé maternelle sont de qualité inférieure, y compris ceux utilisés dans la prise en charge de l’hémorragie du post-partum (HPP), principale cause de décès chez la mère. Dans de nombreux pays, en particulier les pays à revenu faible ou intermédiaire, les prestataires de soins ne peuvent pas faire confiance à l’efficacité des médicaments dont ils dépendent.
Rejoignez la Sénatrice Oral Ataniyazova de l’Ouzbékistan, membre du Comité de la santé de l’Union interparlementaire (UIP), et la Professeure Tari Turner, Présidente du Groupe consultatif scientifique et technique (STAG) du P Programme spécial de recherche, de développement et de formation à la recherche en reproduction humaine (HRP), pour passer en revue les mesures que les parlementaires peuvent prendre pour améliorer l’accès à des médicaments de qualité pouvant sauver la vie des femmes enceintes et de leur nouveau-né.
Professeure Tari Turner (T. T.) : en ma qualité de chercheuse passionnée par l’élaboration de politiques fondées sur des bases factuelles et axées sur les femmes et les enfants, je considère que la qualité des médicaments est essentielle à la réalisation du droit à la santé, et à la confiance dans les systèmes de santé. Je suis consciente du fait que les décideurs politiques sont également confrontés à différents autres défis, c’est pourquoi je m’interroge, parmi les questions majeures en matière de santé sur lesquelles se concentre l’Union interparlementaire (UIP) : pourquoi pensez-vous qu’il est important d’accorder la priorité aux médicaments de qualité garantie pour la santé maternelle ?
Sénatrice Oral Ataniyazova (O. A.) : au cours des 20 dernières années, l’UIP a montré la voie à suivre s’agissant d’impliquer les parlements dans le domaine de la santé, notamment en veillant à ce que chacun ait un meilleur accès aux services de santé et en faisant en sorte que les résultats en matière de santé soient plus équitables pour tous.
Les femmes qui décèdent pendant l’accouchement du fait du manque d’accès à des médicaments de qualité, sûrs et efficaces est une injustice profonde à laquelle nous pouvons remédier. Les femmes les plus pauvres sont souvent les personnes qui souffrent le plus, et cette situation est inacceptable.
Les taux de mortalité maternelle stagnent dans de nombreux endroits, et des lois et réglementations plus strictes peuvent faire une réelle différence. Les parlements ont le pouvoir de briser ce cycle : garantir des médicaments de qualité garantie ne consiste pas seulement à sauver des vies, mais aussi à faire progresser la santé, l’équité et le développement.
La santé est un choix politique, et des parlements et des démocraties solides sont essentiels. Ils contribuent à renforcer l’équité, la participation, la responsabilisation et la transparence, dans le domaine de la santé et au-delà.
T. T. : en quoi votre expérience en tant que médecin a-t-elle influé sur votre approche de vos fonctions consistant à établir un lien entre la science et les politiques ?
O.A. : tout d’abord, en reconnaissant que la grossesse et l’accouchement sont des processus physiologiques et non une maladie. De nombreux facteurs interdépendants contribuent à la santé, notamment la situation socioéconomique de la famille, la disponibilité de services médicaux de qualité, la sensibilisation du public aux possibilités d’une maternité sans risques, une analyse critique de chaque cas de mortalité maternelle ou infantile, un suivi régulier de l’ensemble du système pour fournir des services maternels et infantiles efficaces.
Tous ces éléments reposent sur les cadres législatifs et réglementaires pertinents de chaque pays et sur l’utilisation des normes de l’OMS.
L’expérience scientifique, en tant que processus de recherche d’une base de données probantes, est le lien le plus important. Sans analyses critiques et fiables, il est impossible d’évaluer correctement les risques, dans un système de santé ou dans tout autre secteur. Toute erreur dans l’interprétation des données conduit à des conclusions et à des décisions erronées et, en fin de compte, à une mauvaise utilisation du budget et à l’adoption de programmes inefficaces, augmentant ainsi le risque pour la santé publique.
J’apprécie beaucoup le rôle de la Commission de la santé de l’UIP, car elle offre, entre autres, la possibilité de promouvoir des stratégies parlementaires en faveur d’une maternité sans risque au niveau mondial.
T.T. : comme vous le savez, garantir la disponibilité de médicaments de qualité dans l’ensemble des pays et des régions représente un défi considérable, notamment en raison du manque de données, de la faible sensibilisation, de l’incohérence des réglementations et des lacunes en matière d’infrastructures, pour n’en citer que quelques-uns. Une nouvelle résolution adoptée lors de la 59e session du Conseil des droits de l’homme préconise une action multisectorielle. À votre avis, quelles sont les mesures les plus efficaces que les parlementaires peuvent prendre pour faire face à ces problèmes ?
O.A. : les parlementaires peuvent changer le discours, à savoir : présenter l’accès à des médicaments de qualité garantie non seulement comme une question technique, mais aussi comme une question d’équité en matière de santé et d’investissement intelligent dans les personnes. Lorsque la santé est considérée comme un investissement et non comme un coût, elle devient un élément central du développement national.
Faire preuve de volonté politique impliquera de soutenir cette vision par des actions concrètes, notamment des investissements constants dans les systèmes de santé et l’infrastructure réglementaire. Sans financement adéquat, les lacunes en matière de qualité et d’accès aux médicaments persisteront.
En outre, les parlements jouent également un rôle essentiel dans l’alignement des lois nationales sur les normes internationales, en veillant à ce que les autorités chargées de la réglementation disposent du pouvoir d’agir de manière décisive. Une législation claire et cohérente indique que la santé maternelle et les médicaments de qualité garantie sont une priorité politique.
T.T. : l’action multisectorielle signifie que chacun a un rôle à jouer. Comment des scientifiques et des chercheurs comme moi peuvent-ils aider des parlementaires comme vous à faire des progrès significatifs sur la question ?
O.A. : les scientifiques et les chercheurs jouent un rôle essentiel pour aider les parlementaires à prendre des décisions éclairées et efficaces, en particulier sur des questions complexes telles que l’accès à des médicaments de qualité garantie. L’un des plus grands obstacles auxquels nous sommes confrontés est le manque de données précises et opportunes. La collaboration avec des experts techniques comme vous est cruciale, non seulement pour fournir des données probantes, mais aussi pour aider à traduire les résultats en informations pertinentes pour les politiques.
Dans le même temps, nous devons améliorer les connaissances en matière de données chez les parlementaires et notre personnel afin de favoriser une culture fondée davantage sur des données probantes au sein des parlements.
Toutefois les données probantes seules ne suffisent pas : nous devons également établir un lien avec les personnes derrière les chiffres. Vos travaux de recherche, associés à des histoires vécues et à des voix communautaires, peuvent contribuer à humaniser le problème et à faire comprendre la nécessité d’une action urgente. Ensemble, nous pouvons combler le fossé entre les données, les personnes et les politiques.
T.T. : dans le cadre du partenariat entre l’UIP et l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), vous collaborez avec l’OMS depuis de nombreuses années. Dans cinq ans, à quoi ressemblerait le succès pour vous ? Quels sont les signes qui vous indiqueraient que vos efforts parlementaires ont fait une réelle différence pour les femmes et les familles ?
O.A. : le partenariat entre l’UIP et l’OMS a joué un rôle déterminant dans le rapprochement entre les communautés scientifiques et parlementaires. Cette collaboration est fondamentale pour soutenir le plaidoyer parlementaire mondial, en veillant à ce que le leadership politique et les éléments de preuve scientifiques aillent de pair. Elle crée également des espaces précieux pour les parlementaires afin d’apprendre des expériences des autres, de comprendre ce qui fonctionne dans différents contextes et d’adapter les approches réussies à leur propre pays.
À une époque où l’attention mondiale se tourne souvent vers les conflits et la sécurité – la réponse à court terme aux crises – des progrès réels signifieraient que nous avons mis de l’ordre dans nos priorités, en plaçant la santé et la vie des femmes et des enfants au centre des programmes nationaux.
Des signes d’impact pourraient être une législation révisée qui renforce la réglementation des médicaments, une augmentation des budgets alloués à la santé pour protéger la santé de la mère, des gouvernements qui achètent les bons médicaments en quantité suffisante, et des parlementaires qui œuvrent au-delà des lignes de partis, débattent publiquement et exigent des mesures sur ces questions.